Le glaive de l'archange
ville était vrai. Maître Isaac pouvait fouler sans un bruit une volée de marches de pierre. On chuchotait aussi que l’on ne savait qu’à l’air déplacé qu’Isaac venait de vous frôler dans le noir. Le garçon écarquilla les yeux pour voir si maître Isaac grimpait seul ou si des démons familiers le portaient jusqu’à l’étage supérieur.
Quelque chose de doux, d’informe et de menaçant se pressa contre sa jambe, mettant un terme à ses spéculations. Il sauta en l’air et réprima héroïquement un hurlement de terreur pure. À son cri étranglé répondit un miaulement interrogateur. Un chat. Penaud, il se pencha pour lui gratter les oreilles et attendit.
Quand Isaac arriva en haut de l’escalier, il écouta brièvement à la porte de sa femme, puis se rendit auprès de la chambre située de l’autre côté du couloir. Il frappa doucement.
— Raquel, murmura-t-il. Es-tu éveillée ? J’ai besoin de toi.
La douce voix de sa fille de seize ans lui répondit. Il s’adossa au mur pour attendre.
— Isaac !
Son nom résonna dans la nuit comme la trompette de Josué, et il s’endurcit pour empêcher ses propres murailles de crouler. Quand il s’y attendait le moins, l’inquiétude de Judith pouvait s’abattre sur lui comme un drap oppressant, saper sa force et sa vigueur.
— Qu’y a-t-il ?
Il l’entendit descendre du lit et traverser la chambre à vive allure. La porte s’ouvrit en crissant, laissant l’air frais des collines s’engouffrer dans le couloir.
— Rien, mon amour, dit Isaac. Tout va bien. Le couvent m’envoie chercher, et Raquel doit m’assister.
— Où êtes-vous allé ? demanda Judith. Vous êtes sorti toute la nuit, seul, sans même un domestique pour vous accompagner. Ce n’est pas raisonnable.
Il tendit la main pour toucher son visage et apaiser ses inquiétudes.
— Le fils du rabbin est sur le point de mourir, mon aimée. Sa femme est éperdue. Après avoir attendu un fils pendant plus de trois ans, l’épreuve est plutôt terrible. S’ils m’envoient chercher, dites que nous partirons directement depuis le couvent.
Judith demeura silencieuse, prisonnière de son code de comportement rigide et élaboré. On ne rechignait pas à assister le rabbin. Mais Judith elle-même avait perdu deux fils en bas âge avant la naissance des jumeaux, et elle pensait secrètement que le rabbin et son épouse n’avaient pas le monopole du chagrin. En vérité, son débat intérieur sur ce qu’elle devait faire à présent l’avait distraite au point de ne pas remarquer qu’Isaac n’avait pas répondu à sa question.
— Je ne comprends pas pourquoi toute la maisonnée devrait veiller parce qu’une religieuse est malade, dit-elle. Qu’est-ce que les religieuses ont fait pour vous, mon mari ?
— Chut ! L’évêque s’est montré un bon ami…
Heureusement, Raquel sortit de sa chambre avant que Judith pût exprimer son opinion sur l’évêque. Elle étreignit rapidement sa mère et, malgré la chaleur, s’enveloppa dans une cape.
— Attendez un instant, dit Judith.
— Pourquoi ? fit Isaac avec une certaine impatience. C’est là une affaire urgente.
— Je vous accompagnerai jusqu’à la maison du rabbin, dit-elle. Allez, je vous retrouverai dans la cour.
Raquel suivit son père dans l’escalier. Il ouvrit la porte donnant sur une vaste pièce basse de plafond qui lui servait à la fois d’herboristerie, de cabinet de consultation et, les nuits où il s’attendait à être appelé, de chambre à coucher.
Isaac ramassa un panier qu’il entreprit de remplir de flacons ainsi que de paquets de racines et d’herbes enveloppés dans de l’étoffe.
— Mon garçon, appela-t-il doucement par la porte ouverte, que sais-tu de la maladie de cette dame ?
— Rien, maître. Je prends les messages et vais chercher le nécessaire en ville. Sinon je travaille dans le jardin. On ne me dit rien.
Il prit le temps de la réflexion.
— Je l’ai entendue crier, ajouta-t-il, tout content de lui. Quand l’abbesse m’a donné le message. L’abbesse en personne m’a dit de venir vous trouver.
— Comment est son cri ? Est-il très fort ?
Il réfléchit un instant.
— C’est un cri très fort, maître. Comme un cochon qu’on égorge ou… comme une femme qui enfante. Elle sanglote aussi. Puis elle s’arrête.
— Brave garçon. Viens, Raquel, j’entends ta mère.
Fait extraordinaire, l’abbesse Elicsenda attendait
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