Le glaive de l'archange
et charitable, et sa femme. Il ne sait pas qui est cet enfant. Il croit que c’est un orphelin de fraîche date qu’il convient de tenir à l’écart de cousins trop avides. Je vous assure que le prince se fondra parfaitement parmi les propres enfants de ce couple.
— Vous avez raison, admit l’évêque. Je crains que, même dans mon palais, le roi n’ait des ennemis. Ceux-ci comprendraient rapidement qui est cet enfant. Qu’il se repose un peu. Demain, nous le transférerons au couvent jusqu’à ce que l’on nous transmette de nouvelles instructions. Lorsque ma nièce aura recouvré la santé, elle pourra jouer avec son petit frère. Comment va dame Isabel, maître Isaac ?
— Elle continue à reprendre des forces. Ce matin, elle a réussi à manger. Je suis certain de sa prochaine guérison.
— Je suis soulagé d’entendre cela.
Berenguer repoussa son siège, mais Isaac leva la main afin de l’arrêter.
— Encore un instant, je vous prie, monseigneur. J’ai appris autre chose aujourd’hui.
— Cela a un lien avec le prince ? demanda l’évêque en se rasseyant.
— Je l’ignore.
Sur ce, Isaac lui rapporta succinctement les observations dues à sa fille et à son beau-fils.
— Le Glaive de l’archange. Quelle curieuse coïncidence ! dit Berenguer. J’ai reçu aujourd’hui même une lettre de cet homme.
— Cet homme ? s’étonna Isaac. Je croyais qu’il s’agissait d’une confrérie.
— C’est peut-être les deux.
Berenguer prit une feuille de papier pliée.
— Après les salutations d’usage, il écrit : « L’Incarnation du Glaive flamboyant de Michel l’archange s’adresse à Son Excellence, l’évêque du diocèse de Gérone. L’archange souhaite que je vous prévienne que Gérone, la Cité de Dieu dont parlent les saints, jouit de sa protection toute particulière. Ce jour même, il y a soixante-huit ans, qui est également le jour anniversaire de la naissance de mon père, saint Michel a chassé les Français loin de ses portes. Fils unique de mon père, je suis désigné pour la purifier de toute corruption et de toute vilenie. Les méchants qui vivent à l’intérieur de ses portes seront châtiés. Je parle du clergé cossu, tout particulièrement de l’évêque et de ses chanoines, ainsi que de l’abbesse et de ses nonnes ; des régnants corrompus, c’est-à-dire le roi et ses héritiers ; et des juifs, qui sont les agents des uns et des autres.
« L’archange m’a visité pour m’instruire de trancher la gorge des impies. J’ai déjà commencé. Renoncez au péché et quittez cet endroit à tout jamais, ou vous grossirez les rangs des âmes mortes en enfer. »
Berenguer fit une pause.
— Il a un style surprenant, mais je ne crois pas qu’il m’apprécie.
— Moi non plus, mon ami.
— Doña Sanxia est peut-être morte parce qu’elle portait l’habit, avança Berenguer.
— Et la nourrice ?
— Peut-être parce qu’elle protégeait l’héritier de Sa Majesté, l’infant Johan.
— Il y a encore bien des questions…
— Dont j’ignore les réponses. Mais la tentative d’assassinat à l’encontre du prince a échoué, et il sera caché ou étroitement surveillé jusqu’à ce que ce dément soit arrêté. Sa Majesté n’a pas d’autre fils susceptible d’être menacé, et j’estime que son frère, Don Fernando, peut se protéger seul. Je ne me sens en aucun cas responsable de sa sécurité s’il ne le peut pas, ajouta sèchement Berenguer. Notre problème a été simplifié. Nous devons mettre le couvent à l’abri du scandale en découvrant ce que Doña Sanxia de Baltier était venue y faire. Nous pouvons laisser à d’autres le Glaive de l’archange.
— Je me demande qui se fait appeler ainsi.
— Un fou. Peut-être s’agit-il de ce Romeu. Mes officiers vont partir à sa recherche. Il est interdit de proférer des menaces de mort à l’encontre d’un évêque. Ou de qui que ce soit d’autre, en fait, ajouta-t-il en bâillant. Isaac, je suis las et ai besoin de me reposer. Ce jour a connu plus que son lot de crises et de souffrances. Il est trop tard pour vêpres et trop tôt pour souper. Avez-vous le temps pour une partie d’échecs, mon ami ?
— Malheureusement, je n’ai plus la pratique de ce jeu, dit Isaac. Que Votre Excellence daigne condescendre à me dire où sont les pièces si j’ai des oublis, et j’essaierai mes pauvres talents.
— Hypocrite ! dit Berenguer en
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