Le glaive de l'archange
couvent. Sor Benvenguda était toute prête à se débarrasser sans broncher de sa responsabilité dans l’état de santé de dame Isabel.
Dès qu’elle vit Isabel, Raquel comprit pourquoi. Il était évident que quelqu’un l’avait avertie du verdict : elle tremblait de rage et de désespoir.
— Comment peuvent-ils agir ainsi, Raquel ? sanglota-t-elle. Je comptais sur l’aide de mon oncle et de mon père. À qui d’autre recourir ? Que puis-je faire ?
— Votre père ne pourrait-il…
— Mon père a entendu ces mensonges et les a crus, c’est lui qui a rendu la sentence et condamné à mort l’être le plus innocent que j’aie jamais rencontré. Vous ne le croyez pas innocent ?
— Si, répondit Raquel, de tout mon cœur.
Mais personne n’était assez stupide pour croire qu’on pouvait encore intervenir pour lui.
Raquel jeta des simples dans une bouilloire et incita Isabel à boire un peu d’infusion.
— Raquel, resterez-vous avec moi ? Je ne puis supporter d’être seule. Ou entourée de nonnes curieuses.
— Mais oui, je resterai, répondit Raquel.
Elle aida dame Isabel à quitter sa robe et à se mettre au lit. Elle s’assit à côté d’elle et l’écouta déverser sa bile, pleurer puis entrer à nouveau en colère avant de se calmer. Elle ferma les yeux et dériva dans le sommeil.
À ce moment même, un grondement de foule retentit, s’éteignit, puis fut suivi d’un nouveau grondement, plus fort cette fois-ci. Raquel repoussa sa chaise, courut jusqu’à la fenêtre entrouverte et se pencha.
Sa hâte réveilla Isabel, qui sortit péniblement de son lit pour la rejoindre. Un bruit de voix sourd emplissait l’air nocturne.
— C’est étrange, remarqua-t-elle, on dirait que cela vient des bains. Ils sont fermés pour la nuit, pourtant.
— Les bains ? répéta Raquel, prise de panique.
Le décor – les arbres et la rivière, jusqu’au bâtiment – se laissait entrevoir entre l’ombre profonde et la lueur blafarde de la pleine lune, encore basse dans le ciel.
— Oui, il y a des lumières. De l’autre côté de la rivière, vous voyez ?
Un rugissement de voix d’hommes franchit la fenêtre.
Raquel prit Isabel par les épaules et la reconduisit vers sa couche.
— Dame Isabel, dit-elle, le souffle coupé par la frayeur, je suis sincèrement navrée, mais je dois m’en aller. Mon père se trouve là-bas…
— Aux bains ?
— Il allait y voir le gardien quand il m’a laissée ici. Et maintenant, Dieu seul sait ce qui s’y passe. Il pourrait lui arriver malheur. Pardonnez-moi, je vous en prie.
— Partez. Bien sûr que vous le devez. Mais reviendrez-vous demain ?
— Je vous le promets, dit Raquel en saisissant sa cape.
Raquel convainquit Sor Marta de la laisser sortir, jurant par tout ce qui lui était sacré que son père et son serviteur l’attendaient devant la porte du couvent. La pleine lune se levait mais, à l’ombre du couvent, la route n’était rien de plus qu’un ruban sombre déroulé dans un paysage plus pâle. Elle attendit de pouvoir distinguer les formes, puis s’avança jusqu’à sortir de l’ombre. Elle s’arrêta pour réfléchir un instant à ce qu’elle faisait, prit son souffle pour se donner du courage et courut vers le pont. Là, elle s’arrêta encore une fois.
La foule se déversait hors de l’établissement de bains. Elle se tapit dans l’ombre de l’église Sant Pere de Galligants et observa avec l’espoir d’apercevoir son père. Il semblait n’être nulle part. Quand tout le monde fut dehors, elle entendit la porte se refermer. Mais une torche au moins brûlait encore à l’intérieur de la bâtisse. Rassemblant tout son courage, elle franchit le pont.
Les cris des hommes sortant de la réunion avaient laissé la place au calme habituel de la nuit, ponctué de petits cris d’oiseaux et d’animaux nocturnes. Mais, comme elle approchait du bâtiment, elle perçut le bruit d’une créature en détresse. Le ventre noué, elle comprit que c’étaient des sanglots assourdis. Elle s’enfonça dans l’ombre et buta contre une forme chaude qui émettait des sons familiers.
— Yusuf ? murmura-t-elle.
— Oui, maîtresse.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle, la voix vibrante de peur. Que fais-tu ici ?
— Le démon qui est venu à Valence et a tué mon père… commença-t-il avant de s’interrompre soudain.
— Oui ? De quel démon parles-tu ? dit Raquel en
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