Le glaive de l'archange
bruit, leur haine et leur violence, se fondirent dans le lointain.
Puis il se rendit compte, du plus profond de son esprit, que la foule s’était dispersée, emmenant avec elle les relents aigres et la sueur des corps. Une bouffée d’air frais accompagna le départ du dernier petit groupe, allégeant quelque peu son malaise. Le Glaive referma la porte et tourna la clef dans la serrure.
— Je n’aimerais pas être interrompu, dit-il.
Isaac ne répondit pas. Il se demanda seulement si Yusuf se trouvait toujours sous la grosse armoire et se dit qu’il était regrettable qu’il assiste à pareille scène.
— Cela peut te surprendre que j’aie empêché ces rustres de te battre à mort. Ce n’est pas par pitié. Ce n’est pas non plus pour tirer quelque chose de toi. Tu ne sais rien qui soit susceptible de m’intéresser. Tu ne peux me répondre ? demanda-t-il soudain. Cela m’irrite de parler à un sourd, je me fais l’impression d’être une vieille qui s’adresse à son chat !
— Je peux répondre, dit Isaac avec difficulté. Mais je n’en voyais pas l’utilité.
— Certes. J’avais une raison autrement plus importante de te sauver de la populace.
Il eut un temps d’arrêt.
— Tu ne te demandes pas laquelle ?
Isaac venait brusquement de se rendre compte qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait ni dans quelle direction il était tourné, et il avait cessé d’écouter. Il craignait la désorientation plus que tout autre mal physique. Elle induisait en lui une peur panique qui le privait de toute pensée rationnelle. Et puis, dans le silence qui suivit, il se souvint que le dément lui avait posé une question. Il devait l’écouter. Peut-être était-ce important que de l’écouter.
— Tu es destiné à participer à mon propre salut. C’est pourquoi je t’ai sauvé.
La voix du Glaive était posée, comme s’il expliquait quelque chose à un client potentiel.
— Et pour cela, tu dois mourir dans le sang. Dans ton propre sang, et dans celui du souverain usurpateur, celui de son engeance et celui du faux évêque, c’est là que réside mon salut. Je serai emporté au ciel sur le fleuve du sang des impies. Me comprends-tu ?
Pour parler, Isaac oublia sa terreur et sa respiration douloureuse :
— Tu es très clair.
— Ta mort ne m’apporte rien. C’est de ton sang que j’ai besoin. Le sang de ces femmes viles – la fausse nonne et la nourrice –, cela ne m’a pas suffi. Il y a trois nuits de cela, l’Archange m’a parlé à nouveau. Il se tenait sur mes terres, sur un pic montagneux dressé vers le ciel, et, le regard tourné vers la riche vallée qui s’étend à ses pieds, il m’a dit : « Suis ta route jusqu’à la fin. Nul ne doit être épargné. Tous doivent périr… » fit le Glaive d’une voix rêveuse.
Isaac était accablé par l’absurdité de la situation : être enfermé dans les bains, pris au piège par ce faux prêtre qui prêchait à l’agneau sacrificiel qu’il avait lui-même couché sur l’autel de ses illusions. Comment quelqu’un pouvait-il mourir pour une cause aussi mesquine, en offrande au démon personnel de ce dément qui le visitait sous les traits d’un ange du Seigneur ? Pourtant, c’était ce qui se produirait. Cet homme allait le tuer, de même qu’il avait tué Doña Sanxia et la brave nourrice du prince, lequel avait échappé de peu à sa fureur sacrée. Et puis il se rappela une fois encore que Yusuf se tenait non loin de là, dissimulé sous l’armoire.
Pareille à un maigre feu nourri de brindilles sèches, la colère croissait en son ventre, consumant toute douleur et toute peur. À cause de la folie de cet homme, Isaac avait mis en danger Raquel et Yusuf, ces deux innocents. Yusuf était encore un enfant : il n’avait pas treize ans et avait déjà vécu plus qu’Isaac ne pouvait l’imaginer. C’était une obscénité que de l’exposer à cela.
Isaac lui-même était vivant et sans entraves. En dépit des coups qu’il avait reçus, c’était un homme fort et, s’il savait seulement où il se trouvait, il pourrait se défendre. Il était possible que le Glaive l’eût poussé sur le banc où il s’était assis la veille pour parler à Johan. Sous ses doigts, le matériau avait quelque chose de familier. Le banc était grossier – le travail d’un apprenti, certainement, et vendu pour quelques pièces à l’intendant de l’établissement de bains. Il fit
Weitere Kostenlose Bücher