Le lacrima Christi
à ce que ce flacon soit rempli du meilleur bourgogne.
Kathryn et Colum se gardèrent d'accepter. Mawsby, railleur, et sans chercher à le cacher, fit signe à Kathryn de prendre place dans la grande chaire semblable à un trône derrière la table et entreprit d'expliquer l'organisation des lieux.
— Ici sont surtout rassemblés les comptes de la maison, les conventions de vente, les factures, les contrats, les mémoires et les chartes de propriété.
Il se dirigea vers un vaste coffre renforcé de bandes d'acier et déverrouilla ses deux serrures.
— Et voici ce que j'appelle les documents personnels de Lord Maltravers.
Il plongea la main dans le coffre, en sortit le contenu et l'apporta sur la table. Puis, fredonnant entre ses dents, il alla sans se presser vers le coussiège pendant que Kathryn et Colum, plutôt intimidés, dénouaient les rubans rouges et bleus et commençaient leurs investigations. La fenêtre offrait une lumière suffisante. Kathryn déclina l'offre de Mawsby qui lui proposait des chandelles supplémentaires et essaya de se concentrer sur ce qu'elle avait devant elle.
Mal travers était un bon épistolier et avait des correspondants non seulement dans le Nord, à York et Carlisle, mais encore à l'étranger. Il écrivait à des amis à Paris, Orléans, Rome, Dordrecht, Mons, et même à Cologne. D'autres vélins, que le temps avait noircis et lustrés, contenaient des prières, des listes de produits achetés ou vendus, des notes. Il y avait aussi le petit journal que Maltravers avait tenu quand il avait visité la Ville éternelle.
Quelques missives émanaient du roi et des ministres.
Kathryn avait l'impression d'écouter les bavardages de la Cour : qui était en faveur, qui ne l'était point. Elle parcourut les rapports des espions et des traqueurs de hors-la-loi. Un document intéressant décrivait l'itinéraire du dernier des Lancastre prétendant au trône, Henri Tudor, exilé pour l'heure à l'étranger. Elle se laissa absorber par son travail.
Les bruits de la maison et ceux des écuries où l'on préparait les poneys de bât pour le départ de Lady Elizabeth à Cantorbéry arrivaient jusque dans la pièce. Ils refusèrent derechef le vin que leur offrait Mawsby, aussi ce dernier s'en servit-il une coupe avant de regagner le coussiège. Sa chanson était à présent plus distincte et plus claire et la jeune femme reconnut un chant des célèbres trouvères : La rose qu'effleurent des lèvres libertines, Son tendre rire n'est pas si doux...
Quand tombent les ténèbres
Et que les vents du soir glacent l'air.
Mawsby rit quand la jeune femme acheva l'air à sa place.
— Aimez-vous les trouvères, Maîtresse Swinbrooke ?
— Mon père les aimait. Beaucoup sont venus à Cantorbéry.
Elle reprit sa tâche. Elle se levait parfois pour aller consulter d'autres ouvrages sur les rayons ou dans la bibliothèque, mais le secrétaire avait raison : le coffre clos renfermait ce qui était personnel à Maltravers. Kathryn fit une pile des écrits les plus intéressants.
Il y avait d'abord un obituaire sur lequel était inscrit : Missae Pro interfectis Apud Towton, « Messes pour les victimes de Towton ». C'était une liste remise à un prêtre payé par Maltravers pour chanter des requiems. Kathryn passa les noms au crible : les morts étaient des étrangers, Espagnols et Italiens, mais pour la plupart Provençaux. C'étaient sans doute les mercenaires que les hommes de Maltravers avaient massacrés après qu'ils eurent demandé grâce à Towton. Elle découvrit aussi une carte, mais s'aperçut qu'elle ne représentait que les caves et les tunnels sous Ingoldby Hall. Un rapide examen expliquait l'insolente facilité de son agresseur : les souterrains possédaient au moins cinq entrées dans diverses parties du manoir.
— Pas étonnant que vous vous soyez échappé !
murmura Kathryn.
— Regardez !
Colum lui lança un petit rouleau jaunissant. Bien qu'écrit en mauvais latin, il décrivait le Lacrima Christi, son poids, sa forme et la légende qui lui était rattachée. C'était l'impératrice Hélène qui l'avait sauvé et apporté à Constantinople. Mais, pendant la quatrième croisade, les chevaliers occidentaux avaient pillé la ville. Le rubis avait été volé et emporté à Assise, en Italie du Nord. On l'avait vénéré comme une relique sacrée avant qu'il soit à nouveau dérobé par un groupe de mercenaires qui l'avaient rapporté à Constantinople et l'avaient
Weitere Kostenlose Bücher