Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
quiconque depuis qu’elle est ici. Les infirmières
l’adorent, c’est la plus docile et serviable des pensionnaires. Quant à la
vieille lady Meg, qui est assise là-bas, elle avait avant son internement la
fâcheuse habitude d’énucléer tous les animaux qui avaient le malheur de croiser
son chemin.
Cassandra
supportait avec stoïcisme l’étalage de ces atrocités qui semblaient tant
réjouir sa sœur. Du reste, les bavardages d’Angelia s’éteignaient très vite, et
la jeune femme s’enfermait de nouveau dans le silence. Néanmoins, ces courts
instants avaient suffi à éveiller les soupçons de Cassandra. Se pouvait-il
qu’Angelia joue la comédie ? Qu’elle feigne l’apathie pour mieux berner sa
sœur et le personnel de l’asile ? Cette seule idée arrachait des frissons
d’effroi à Cassandra. Si Angelia avait résolu de s’enfuir, rien ni personne ne
pourrait l’en empêcher. Et le pire était que son évasion ne serait pas prise au
sérieux par les autorités. La police déjà surchargée de travail se
donnerait-elle seulement la peine de rechercher une aliénée ?
Officiellement, lady Angelia Killinton avait été enfermée parce que, prise de
folie, elle avait tenté de se suicider en se jetant sous un train. Rares
étaient ceux qui, à l’instar de Cassandra, avaient connaissance de ses crimes
passés.
Ces
réflexions n’étaient guère rassurantes, et Cassandra se sentait de plus en plus
oppressée. Son corset lui ligotait la poitrine, elle avait du mal à respirer. À
la suite de l’infirmière, elle franchit pourtant deux grilles fermées à clé et
passa devant la salle commune dont la porte était ouverte. Elle s’arrêta net,
surprise par quelque chose qui l’avait déjà frappée lors de ses deux
précédentes visites. L’atmosphère calme et morose qui régnait d’habitude dans
cette partie de l’asile s’était soudain tendue et semblait à présent chargée de
menaces et d’hostilité. Regroupées en petits groupes, des malades chuchotaient
férocement en se lançant des regards haineux. Les surveillantes les observaient
d’un air crispé, sur le qui-vive.
Sans
interrompre sa marche, l’infirmière qui escortait Cassandra lui jeta un coup
d’œil par-dessus son épaule.
– Votre sœur n’est pas ici
mais dans le parc.
– Que
se passe-t-il ? demanda Cassandra en la rejoignant. Tout le monde paraît
nerveux.
La
petite rousse haussa ses épaules grasses et répondit d’un ton agressif :
– Les
folles sont agitées ces temps-ci. Il faudra bien que ça leur passe si elles ne
veulent pas finir dans un bain glacé.
Cassandra
n’insista pas, mais cette effervescence si inhabituelle contribua à la troubler
un peu plus encore.
Après
avoir franchi une dernière porte, les deux femmes débouchèrent dans un petit
parc délimité par de hauts murs de brique. Le bruit de l’eau étant supposé
apaiser les nerfs, l’établissement avait été construit de façon à ce que le
ruisseau dans lequel avait voulu patauger Andrew serpente à travers la pelouse.
Enveloppée dans un grand châle gris, Angelia était assise sur un banc, le
regard perdu dans le vague. La peau blême et ses longs cheveux noirs pendant
lamentablement autour de son visage amaigri, elle avait bel et bien perdu de sa
superbe depuis l’époque où elle régnait sur les soirées mondaines de la
capitale tout en dirigeant une organisation criminelle, le Cercle du Phénix. De
l’endroit où se tenait Cassandra, elle paraissait amorphe. Impression trompeuse
toutefois, car elle se redressa aussitôt que sa sœur s’approcha d’elle.
– Cassandra !
s’écria-t-elle d’un ton joyeux, presque enfantin.
La jeune femme ne put
s’empêcher de sourire. Elle se pencha vers Angelia pour l’embrasser puis
s’assit à ses côtés sur le banc.
– Comment vas-tu
aujourd’hui ?
Elle
n’attendait pas de réponse ; elle avait depuis longtemps renoncé à mener
une conversation sensée avec Angelia. Mais comme pour confirmer ses pires
craintes, celle-ci se montra aussi volubile que cohérente.
– Parfaitement
bien, je te remercie. Quoique les distractions manquent fort dans cet endroit.
Parfois l’ennui me gagne et je me prends à regretter l’ancien temps. Les bals
d’Almack, les courses d’Ascot, les soirées à l’Opéra, les rendez-vous chez ma
modiste…
– Vraiment ? fît
Cassandra, interloquée. Alors je suppose…
Elle s’interrompit, son
attention attirée
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