Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
par une femme hirsute qui traversait le parc en appelant
désespérément :
– John !
Rebecca ! Albert ! Audrey ! Mary !
Angelia
suivit son regard et eut un petit rire comparable au bruit d’une charnière
grinçante.
– Toute
la famille de la pauvre Nelly a été décimée par le choléra lors de l’épidémie
de 1849, expliqua-t-elle, les yeux brillants. Elle passe son temps à errer sans
but dans l’asile en hurlant leurs prénoms. N’est-ce pas fascinant ? Et tu
as manqué de peu la nouvelle arrivante, Nancy Elliot, qui a empoisonné son
mari. Elle prétend qu’il la suit partout. Parfois elle le serre contre elle et
l’embrasse, tandis qu’à d’autres moments elle l’insulte et le frappe pour le
repousser. C’est un spectacle délicieusement effrayant.
Angelia
se tut, et son regard s’éteignit soudain. Sa sœur l’observa à la dérobée,
cherchant à découvrir si elle simulait. Mais Angelia redressa bientôt la tête,
de nouveau en proie à une vive animation. Un sourire épanoui aux lèvres, elle
déclara :
– J’ai
entendu les infirmières parler de la vague de meurtres qui ensanglante Londres.
Des meurtres abominables.
Cassandra
se retint de soupirer. Elle n’avait pas la moindre envie d’aborder ce sujet
avec elle.
– Voici
venu le temps de la vengeance, chuchota brusquement Angelia en fixant sa sœur
dans les yeux.
Cassandra sentit un
doigt glacé frôler sa nuque.
– Que veux-tu dire ?
demanda-t-elle d’une voix mal assurée.
Angelia ne répondit
rien.
Elles
demeurèrent un long moment à se dévisager, puis Cassandra n’y tint plus. Elle
se leva subitement.
– Je dois partir.
Comme
si elle avait senti sa peur, le sourire d’Angelia s’accentua.
Cassandra
fit volte-face, désireuse de quitter l’asile au plus vite. Mais elle n’avait
pas fait un pas que la main de sa sœur se referma sur la sienne. Elle tenta de
se dégager, en vain.
Alors,
avec une infinie douceur, Angelia se pencha vers elle. Son souffle caressa sa
joue avant qu’elle ne lui murmure à l’oreille :
– À très bientôt,
Cassandra…
III
Barbara Rayner Leigh se
trouvait dans une situation périlleuse, et sa beauté à couper le souffle ne lui
était pour l’heure d’aucune utilité.
Elle venait tout juste
de s’échapper de la mansarde dans laquelle on la retenait prisonnière, et
rampait à présent sur les bardeaux du toit battu par les vents. Elle
progressait lentement sur les planches instables et glissantes, de crainte de
perdre l’équilibre et de chuter dans le vide.
Un bruit de sabots sur
les pavés monta soudain de l’étroite ruelle en contrebas. Un cavalier
approchait.
– Au secours, hurla-t-elle, à l’aide !
Barbara se tut en
entendant un bruit derrière elle ; un de ses ravisseurs était apparu à la
fenêtre de la mansarde. Il lui cria avec un accent cockney à couper au
couteau :
– Je vais vous rattraper,
p’tite peste, et vous allez regretter d’avoir tenté de fuir !
Rapide comme l’éclair,
la brute se dirigea vers elle. Le toit gémissait et grinçait sous son poids, et
des planches se détachèrent sous ses pieds pour aller s’écraser à grand fracas
dans la rue. Barbara vit soudain les yeux globuleux de l’homme s’écarquiller
d’horreur quand toute une section de bardeaux céda sous ses pas et qu’il se mit
à glisser le long de la pente du toit. Affolé, il s’agrippa à la robe de
Barbara, qu’il entraîna dans sa chute inexorable. Tous deux dévalèrent la
pente, puis le toit tout à coup s’effaça et Barbara, projetée dans le vide,
crut sa dernière heure arrivée.
Un grand choc lui coupa
la respiration, mais force lui fut bientôt de constater qu’elle était toujours
en vie. Elle écarta de ses yeux ses mèches couleur de miel liquide, et vit
au-dessus d’elle la carrure imposante et le fier visage de Hugh McLane. Elle
avait chu directement du toit dans ses bras. Avec une exclamation de joie, elle
se cramponna à son cou.
– Hugh, Dieu merci !
– Miss Rayner Leigh, je
vous ai cru perdue, j’ai manqué devenir fou d’inquiétude !
Hugh plongea son regard
brûlant dans les prunelles émeraude de la jeune fille.
– Barbara, voulez-vous m’épouser ?
Rougissante, la jeune femme battit fébrilement des
cils.
– Oh, Hugh, je vous en prie, vous n’êtes pas
sérieux.
– Je ne l’ai jamais autant
été, Miss Rayner Leigh, assura-t-il de sa belle voix grave tout en
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