Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
et
pitié tout en discutant avec animation. Certains mots aux sonorités étranges,
comme ordog ou pokol, revenaient souvent dans la
conversation. Des mots dont le sens échappait aux voyageurs mais qui, si l’on
se fiait au ton apeuré sur lequel ils étaient prononcés, ne présageaient rien
de bon.
Avant
de monter dans le véhicule, Megan entraîna Nicholas à l’écart.
– Allez-vous
nous trahir comme le pense Cassandra ? demanda-t-elle d’un ton hésitant.
– Est-ce vraiment
important ? rétorqua-t-il, amusé.
– Oui,
car cela signifierait que vous êtes plus attaché à l’homme que vous servez qu’à
moi…
Nicholas se pencha vers
elle, soudain sérieux.
– Quoi qu’il arrive,
Megan, n’oubliez pas…
Il
s’interrompit subitement, les yeux rivés sur un point en amont de la rue. Megan
suivit son regard mais ne vit rien d’étrange.
– Que se passe-t-il ?
Nicholas se retourna
vers elle, l’air égaré.
– Rien,
il n’y a rien… Venez, ordonna-t-il en lui prenant le bras, et il l’entraîna
vers la voiture en dépit de ses protestations.
Tandis
que le petit groupe prenait place dans le fiacre, des gens qui, devant l’hôtel,
s’étaient rassemblés de plus en plus nombreux, se signèrent tous ensemble avec
ferveur, puis tendirent vers eux l’index et le majeur.
– Que
signifie ce geste ? s’enquit Clayton, les sourcils froncés, avant de
refermer la portière.
– Une
protection contre le mauvais œil, marmonna Lucian en grimpant sur son siège.
Vous en aurez bien besoin, là où vous allez, mais j’ai peur que ce ne soit pas
suffisant.
Sans
leur laisser le temps de répondre, il fit claquer son fouet au-dessus de ses
chevaux, et le véhicule s’ébranla dans un nuage de poussière.
Malgré
ces prémices peu encourageantes, Cassandra et ses compagnons admirèrent la
beauté farouche du paysage qui se déroulait sous leurs yeux, paysage paré par
l’automne d’un riche éventail de teintes cuivrées, vermeilles, rousses, fauves
ou mordorées. La route serpentait entre des collines abruptes couvertes
d’étendues boisées, au sommet desquelles apparaissaient parfois une ferme au
pignon blanc ou une chapelle. Au-delà de ces collines s’élevaient les grands
pics des Carpates illuminés par le soleil matinal, une perspective sans fin de
rocs effilés aux tons verts, bruns et pourpres qui se perdaient dans le
lointain embrumé. De loin en loin, un sommet neigeux auréolé d’une délicate
lumière rose surgissait des nuages, tandis qu’une chute d’eau nichée dans les
anfractuosités des rochers brillait comme de l’argent.
Le
fiacre, qui montait à présent vers le col de Borgo, croisait parfois des
paysans couverts de peaux de mouton poussant des charrettes sur le chemin ou
édifiant de gigantesques meules de foin dans les champs attenants. Au détour
d’une colline, les voyageurs remarquèrent pour la première fois les croix qui
s’élevaient au bord de la route. De hautes croix blanches, immaculées. À mesure
qu’ils approchaient du col, les paysans se faisaient plus rares, contrairement
aux croix qui, elles, se multipliaient, au point de bientôt former deux haies
compactes qui parurent emprisonner l’attelage. Lucian, qui menait un train
d’enfer depuis le début du voyage, usant du fouet sans répit, accéléra encore
l’allure ; mais les collines devenaient plus escarpées et, malgré la hâte
qui animait leur conducteur, les chevaux étaient souvent obligés de ralentir le
pas. Lucian ne s’arrêta que pour allumer les lampes du fiacre. La robe luisante
de sueur et les naseaux fumants, les chevaux en profitèrent pour se reposer
avant de reprendre leur course folle.
L’attelage
cahotait effroyablement, obligeant ses occupants à se retenir aux parois, ce
qui arracha quelques jurons à Jeremy. Cependant, la route se fit bientôt plus
régulière. Plus étroite aussi, car les montagnes, de part et d’autre, s’étaient
rapprochées, menaçantes. Le fiacre traversait le col de Borgo. Lorsqu’il
atteignit le versant est du col, des nuages noirs s’amoncelaient dans le ciel
tout à l’heure bleu et limpide ; on eût dit qu’un orage allait éclater.
L’atmosphère semblait différente de ce côté de la montagne, et on n’apercevait
plus âme qui vive.
Bientôt,
le fiacre pénétra dans une forêt plus dense que les précédentes. Les arbres
étaient si rapprochés qu’ils formaient une voûte au-dessus du toit, si bien
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