Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
que
Cassandra et ses compagnons eurent l’impression peu agréable d’être captifs
d’un tunnel. Ce fut ce moment que choisit le temps pour achever de se gâter. La
teinte du ciel vira au granit et un vent violent se leva de l’ouest, apportant
avec lui une pluie fine et tranchante. Bien qu’il ne fût pas encore midi, il
faisait très sombre tout à coup, et un voile de brume avait recouvert les
environs. Seuls les rayons des lampes du fiacre projetaient des lueurs
blafardes dans lesquelles s’élevait l’haleine fumante des chevaux. La nuit
tomberait tôt sur les Carpates.
De
plus en plus frénétique, le vent tourbillonnait au-dehors, secouant le fiacre
comme un fétu de paille lorsqu’il prenait un tournant. Dans les endroits à
découvert, sur les hauteurs, il soufflait avec une telle force que toute la
caisse du coche tremblait et oscillait, balancée entre les hautes roues, telle
une barque sur une mer démontée. Silencieux, les occupants du véhicule
contemplaient d’un air morne le paysage dévasté. Une inquiétude sourde,
insidieuse, s’était emparée d’eux, et la vision des croix blanches surgissant
régulièrement près des fenêtres ne faisait qu’accroître leur malaise.
Les
roues du fiacre grinçaient et gémissaient atrocement chaque fois que le
véhicule glissait dans une ornière, ce qui arrivait souvent. En dépit du
mauvais état de la route et du temps épouvantable, le cocher maintenait contre
toute raison un train d’enfer.
À
un moment où la voiture s’enfonçait dans une ornière plus profonde qu’à
l’ordinaire, Jeremy se leva soudain, furieux. Après avoir secoué le châssis de
la fenêtre, il fit descendre la vitre avec fracas, ce qui eut pour effet de
laisser entrer l’averse dans l’habitacle, à la consternation de ses compagnons
transis de froid. Insoucieux de leurs mines courroucées et de la pluie, le
journaliste passa la tête au-dehors et se mit à invectiver le cocher, hurlant qu’ils
seraient tous morts avant d’atteindre leur destination s’il s’entêtait à
conduire à bride abattue.
Son
flot de reproches fut emporté par le vent avant d’atteindre Lucian. Engoncé
jusqu’aux oreilles dans son manteau trempé, presque plié en deux sur son siège
par la bourrasque, celui-ci ne cessait de faire claquer son fouet sur la croupe
des chevaux fourbus et ne semblait aucunement disposé à ralentir l’allure.
Jeremy continua néanmoins à vociférer dans le vide. Excédée, Cassandra se
pencha vers lui et agrippa son bras.
– Pour
l’amour du Ciel, cria-t-elle pour couvrir le vacarme de la tempête, refermez
cette fenêtre ou c’est vous qui allez nous faire mourir !
Jeremy
obéit à regret. Il remonta la vitre et se rassit à sa place, non sans avoir
refroidi l’intérieur de la voiture, ce qui lui valut des regards noirs de la
part de Megan, frileusement enveloppée dans sa cape. Elle profita toutefois de
l’occasion pour se rapprocher imperceptiblement de Nicholas, assis à ses côtés.
L’obscurité
avait pris possession du fiacre, qui n’était éclairé que par la lumière blême
d’un lumignon. Le menton dans la main, Cassandra tentait vainement de
distinguer quelque chose dehors. Les torrents de pluie, dont la violence allait
croissant, cinglaient les vitres et engloutissaient le paysage dans des trombes
d’eau. Du coin de l’œil, Cassandra se rendit compte que Clayton, installé sur
la banquette en face d’elle, la fixait avec intensité. À l’endroit où il était
assis, la pluie filtrait à travers une fissure du toit. De temps en temps, il
recevait sur l’épaule des gouttes glacées qu’il essuyait d’un doigt
indifférent. Quand il s’aperçut que Cassandra l’observait à son tour, il
enfonça les mains dans les poches de son manteau et détourna son regard vers la
vitre brouillée.
De
chaque côté de la route s’étendaient à présent de rudes et stériles étendues
pierreuses, encadrées par des pics abrupts. Les arbres avaient disparu, à
l’exception de quelques rebelles dont les branches dénudées étaient ployées et
tordues par des siècles d’intempéries. Il n’y avait pas de végétation, pas de
chemins, aucune trace de chaumière, encore moins de hameau. Juste du granit
noir et des pierres effritées à perte de vue. La route tortueuse déroulait ses
méandres dans le vide et l’obscurité, sans qu’une seule lumière vînt signaler
une présence humaine. Peut-être n’existait-il aucune
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