Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
se tint immobile, les yeux
braqués sur la jeune femme, prêt à détaler au moindre mouvement de sa part.
Mais celle-ci semblait pour l’heure inoffensive. Un genou à terre, elle
respirait par à-coups, la main gauche crispée sur sa poitrine, l’autre
dissimulée derrière son dos. Sa robe était déchirée au niveau des épaules, et
un rideau de cheveux d’un noir de jais masquait ses traits.
Walter
tentait désespérément de recouvrer son sang-froid. Lui, un esprit si
raisonnable, si pragmatique, ne devait pas se laisser impressionner de la sorte
par une simple femme, aussi démente fut-elle. Rassemblant son courage, il fit
un pas vers la fugitive. Au même moment, elle leva les yeux. Un frisson picota
la nuque de Walter lorsqu’il croisa son regard brûlant, un regard de bête
traquée. Oubliant sa peur, il l’observa avec attention. À la lueur de la lune,
il distingua un visage très pâle aux joues creusées, aux yeux sombres, aux
lèvres frémissantes. Des traits marqués par la souffrance et les épreuves, dont
l’évidente beauté n’avait cependant pas été irrémédiablement altérée. Mais ce
fut surtout l’expression de l’inconnue qui frappa Walter. Un curieux mélange de
férocité, de lassitude et de vulnérabilité qui l’effraya et le toucha en même
temps.
Sans
réfléchir, il s’approcha d’elle, la main tendue. La jeune femme se raidit et se
rejeta en arrière pour éviter son contact.
– Allez-vous-en,
haleta-t-elle d’une voix rauque.
Walter
n’hésita qu’une seconde. Il soutint son regard et continua à avancer.
Furieuse,
elle se redressa brusquement, et la lame d’un poignard brilla dans le prolongement
de la main qu’elle avait jusque-là tenue cachée dans son dos.
– Partez ou je ne réponds
pas de votre vie !
Comme
si sa tentative d’intimidation avait épuisé toutes ses forces, la femme
s’affaissa de nouveau sur un genou, la respiration heurtée. Peut-être
était-elle blessée… Elle tremblait et claquait des dents.
Subitement,
Walter se décida. Pour une raison qu’il ne s’expliquait pas encore, la peur
l’avait quitté et son esprit avait recouvré sa lucidité. La femme qui le
menaçait était peut-être folle, mais elle avait besoin d’aide. Nulle maison
dans les environs, personne sur la route à qui demander assistance… Il n’y
avait que lui, Walter Crane, qui fut susceptible d’agir. C’était son devoir.
Très lentement, il
s’agenouilla devant la femme.
– Je
n’ai d’autre désir que celui de vous secourir, dit-il avec gentillesse.
J’aurais pu vous dénoncer aux hommes de l’asile tout à l’heure, mais je ne l’ai
pas fait. Je ne vous demande aucune explication. Dites-moi seulement comment je
puis vous aider, et je le ferai.
L’inconnue
ne répondit rien, mais la main qui tenait le poignard retomba mollement et
finit par le lâcher sur l’herbe humide. Puis la femme leva les yeux vers
Walter. Il n’y lut ni crainte ni gratitude, juste une immense fatigue. Il
comprit qu’elle n’avait pas l’intention de s’en remettre à lui ; elle
était simplement trop épuisée pour réagir. D’un geste gauche, il lui prit la
main. Elle était glacée.
– Pouvez-vous vous lever
et marcher ? s’inquiéta Walter.
Elle
hocha la tête et se redressa, pantelante. Après avoir tergiversé un instant,
Walter passa un bras timide autour de sa taille. Les doigts de la femme se
refermèrent dessus.
Ils
avaient fait quelques pas en direction de la route quand la femme s’arrêta
brusquement.
– Mon sac, souffla-t-elle.
Elle
agrippa plus fort le bras de Walter qui sentit les ongles de sa compagne
s’enfoncer dans sa chair à travers le tissu de ses vêtements.
– Quel
sac ? s’étonna-t-il en réprimant une grimace de douleur.
– Le
sac que j’ai emporté avec moi, ajouta-t-elle en jetant des regards paniqués aux
alentours.
Elle
paraissait tout à coup sur le point de fondre en larmes. Interloqué, Walter se
retourna et avisa un grand sac de toile posé contre le tronc d’un arbre non
loin de là.
– Calmez-vous, dit-il d’un
ton apaisant, je vais le chercher.
Il
se dégagea doucement de l’étreinte de la femme et alla ramasser le baluchon. Il
était lourd, et Walter se demanda ce qu’il pouvait contenir de si précieux pour
déclencher une telle agitation. Peut-être rien d’important en vérité, cette femme
n’avait pas toute sa tête après tout.
Rassurée,
celle-ci se laissa mener
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