Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
l’autre revenait à l’attaque et le harcelait en se mouvant avec
agilité. Excédé, Gabriel profita d’un instant où son adversaire baissait sa
garde pour le repousser violemment. Celui-ci trébucha sur le fauteuil renversé
et alla s’effondrer contre le mur avec un gémissement de douleur. L’objet qu’il
tenait heurta le tapis avec un son étouffé et roula aux pieds de Gabriel qui
s’en saisit aussitôt. Une lanterne.
Le jeune homme ralluma
la mèche et dirigea le rayon vers la silhouette qui s’était relevée entre-temps
et se tenait à côté d’une des tables. Le faisceau de lumière éclaira d’abord
une longue cape à capuchon, avant de remonter jusqu’au visage. Celui-ci se
reflétait dans le miroir qui surplombait la table, créant un curieux effet de
dédoublement dans l’obscurité ambiante. Lorsqu’il distingua les traits de
l’inconnu, Gabriel manqua laisser choir la lanterne.
Ce
visage… Il l’avait déjà vu auparavant. Quelques mois plus tôt, alors qu’il
s’était une fois encore perdu dans le château, il avait trouvé par hasard une
montre dans une chambre inoccupée. Sur le couvercle étaient gravées les
armoiries de Julian, et un médaillon était attaché à la chaîne en or massif. Ce
médaillon renfermait la miniature d’une femme. Une femme au visage d’une
exquise finesse, aux yeux mordorés, au long cou blanc ceint d’un ruban de
velours noir…
Gabriel
n’avait pas mentionné sa découverte à Julian. Il en savait peu sur son passé,
mais suffisamment pour deviner l’identité du modèle. Julian n’en parlait jamais
et interdisait qu’on l’évoquât en sa présence. Cette femme était un fantôme,
elle n’avait pas plus de consistance qu’une ombre.
Et pourtant, elle était
là maintenant, devant lui.
Elle
le fixait également, l’air tout aussi étonné. C’est alors que la porte s’ouvrit
brusquement dans le dos du jeune homme et que Julian et Cassandra firent
irruption dans la pièce, talonnés par deux domestiques armés de fusils.
– Gabriel, que se…
Julian
s’interrompit net en voyant la femme. Durant quelques secondes, il vacilla
comme si on l’avait frappé. Puis, atrocement pâle, il balbutia :
– Aerith…
*
Le
tic-tac de la pendule en bronze placée sur la cheminée résonnait comme des
coups de canon dans le silence qui s’était abattu sur la bibliothèque. Les yeux
écarquillés, Julian demeurait immobile, comme si sa femme, telle la Méduse
mythologique, l’avait changé en statue de pierre par le seul pouvoir de son
regard. Près de lui, Gabriel esquissa un mouvement pour examiner son bras.
Émergeant de son hébétude, Julian se tourna vers le jeune homme et avisa sa
manche déchirée.
– Es-tu blessé ?
s’enquit-il machinalement.
– Non, murmura Gabriel, ce
n’est qu’une égratignure…
Les mots moururent sur
ses lèvres ; Julian ne l’écoutait pas.
Comme
hypnotisé, il avait fait un pas en direction de sa femme. Celle-ci recula, et
l’espace d’un éclair une authentique terreur se lut sur son visage. Gabriel en
fut sidéré ; jamais il n’aurait cru Julian susceptible d’inspirer un tel
sentiment.
Appuyée
contre le mur, les bras croisés, Cassandra observait également la jeune femme.
« Ainsi, songeait-elle, voilà donc la fameuse Aerith, l’épouse que Julian
a aimée passionnément avant d’en divorcer pour des raisons connues de lui
seul… »
Les
très rares fois où il avait évoqué sa femme devant Cassandra, Julian avait
laissé entendre qu’elle s’était rendue coupable de trahison à son endroit. Mais
de quelle nature était cette trahison, c’était là toute la question. L’adultère
semblait être l’explication la plus évidente. Si Aerith avait transgressé la
fidélité conjugale en entretenant une liaison avec un homme – « une
conversation criminelle » comme la qualifiait pudiquement la loi –, la
colère et la rancune de Julian étaient légitimes. Mais l’infidélité d’Aerith
justifiait-elle une mesure aussi extrême et scandaleuse qu’un divorce, alors
même que le couple avait un enfant ? Cassandra en doutait. Non, il devait
y avoir une autre raison, encore plus dévastatrice qu’un adultère, qui
expliquait la conduite de son ami.
Pour
l’heure, elle ne pouvait s’empêcher de dévisager Aerith avec curiosité. Ce qui
frappait chez elle au premier abord, c’était sa grâce et sa fragilité. Ses
épaules étaient aussi frêles que
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