Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston

Walter boutonna
son pardessus et remonta le col, mais il était déjà trempé jusqu’aux os.
    Un
autre éclair déchira la nuit et fît apparaître les chênes qui bordaient le
chemin, pressés les uns contre les autres en une haie opaque. L’averse devint
torrentielle ; on n’y voyait pas à deux pas.
    Ce
fut à cet instant que la tranquille existence de Walter bascula. Le tonnerre
éclata parmi les arbres, et sur le fond embrasé du ciel, il vit une silhouette
se détacher. Cela dura une fraction de seconde, puis les ténèbres engloutirent
de nouveau la route. Une main en visière, Walter avança prudemment vers
l’endroit où l’ombre lui était apparue, mais la pluie brouillait le paysage et
il ne put rien distinguer. Le vent faisait maintenant entendre sa voix, et une
bourrasque fît vaciller le jeune homme, projetant son chapeau melon sur le sol.
    Un
nouvel éclair illumina la scène qui se couvrit d’une blancheur éclatante, et
alors il la vit. Frêle silhouette fantomatique surgie du néant, elle se tenait
debout au milieu de la route, les plis de sa robe rouge s’agitant sous les
assauts du vent. Indifférente aux gouttes qui la martelaient avec fureur, elle
le fixait d’un regard inquiétant. Ses yeux étaient soulignés de cernes noirs,
et de longues mèches de cheveux bruns collées par la pluie dissimulaient en
partie son visage blafard.
    À
cette vision, Walter manqua défaillir. Ses doigts se crispèrent sur le pommeau
de sa canne et il recula d’un pas. Peut-être se serait-il enfui à toutes jambes
si un cri soudain dans son dos ne l’avait fait se retourner vivement.
    Un
cabriolet occupé par deux hommes arrivait en trombe dans sa direction.
Lorsqu’il fut parvenu à sa hauteur, le conducteur tira brusquement sur les
rênes. Le cheval se cabra et la voiture s’immobilisa près de Walter,
éclaboussant de boue les revers de son pantalon. L’homme assis près du
conducteur se pencha vers lui.
    –  N’avez-vous
pas vu une femme ? hurla-t-il pour couvrir le bruit de l’orage.
    –  Une femme ? répéta
stupidement Walter.
    Avec
une lenteur craintive, il se retourna vers l’inconnue, mais celle-ci n’était
plus là. Abasourdi, il contempla la route déserte sans un mot.
    –  Une
femme vêtue d’une robe grise, le pressa l’autre avec impatience.
    –  Non,
l’interrompit le conducteur, les vêtements que nous lui avons donnés se
trouvaient dans son armoire, elle a dû remettre ceux qu’elle portait à son
arrivée, des vêtements rouges. Une femme tout en rouge, cela vous dit-il
quelque chose ?
    Walter demeura muet,
tiraillé par des émotions contradictoires.
    –  Pourquoi
la cherchez-vous ? demanda-t-il enfin. Qu’a-t-elle fait ?
    –  Elle
s’est enfuie de notre asile ! cria le conducteur. L’asile de Reinfield,
qui se trouve tout près d’ici ! Le temps presse, nous devons absolument la
retrouver, l’avez-vous vue ?
    « Elle
s’est enfuie de notre asile ! » À ces mots, Walter avait blêmi. Un
instant, il eut l’impression d’être sur le point de basculer dans un abîme. La
réponse aurait dû être évidente, immédiate. Mais à la place, il balbutia :
    –  Non, non, je ne l’ai pas
vue.
    Les deux hommes dans le
cabriolet jurèrent de concert.
    –  Si
vous la rencontrez, enjoignit le conducteur, prévenez la police et faites-la
ramener au plus vite. Mais soyez prudent, elle peut être dangereuse !
    Walter
regarda la carte qu’on lui tendait tandis que l’attelage reprenait sa course.
    –  Souvenez-vous, une femme
tout en rouge… Au revoir !
    Le
cabriolet disparut à un tournant du chemin. Pétrifié, Walter continuait à fixer
la carte sans la voir, l’esprit en déroute. Qu’avait-il fait ? Les
conséquences possibles de son silence le tétanisaient.
    Une
violente bourrasque le sortit de sa léthargie. D’un geste machinal, il resserra
les pans de son manteau autour de lui et s’aperçut alors que l’averse avait
cessé. Les nuages s’effilochaient dans le ciel délavé, et la lune apparut,
pleine et brillante, répandant sa clarté sur les environs. Presque malgré lui,
Walter se dirigea vers les bosquets qui bordaient la route, devinant que
l’inconnue s’y était réfugiée à l’approche de la voiture.
    Il
n’avait pas fait dix pas qu’il manqua trébucher sur elle. Terrifié, il fit un
bond en arrière en poussant un cri perçant qui aurait sans nul doute déclenché
une vive hilarité chez Bertie Wilbur. Puis il