Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
à
présent. D’ici ce soir, toutes vos dettes seront effacées. Mais si j’avais un
conseil à vous donner pour l’avenir, docteur, ce serait de refréner votre
passion pour le jeu…
Sans
rien ajouter, il reprit sa marche. Sa silhouette allait disparaître au détour
du couloir quand le docteur Barrett se leva brusquement.
– Attendez ! J’ai une
question à vous poser.
L’homme se retourna.
– Je vous écoute, mais
n’abusez pas de mon temps.
Barrett ferma les yeux
et prit une profonde inspiration.
– Sarah… Comment
va-t-elle ?
Un
long silence plana sur le couloir tandis que l’homme le dévisageait froidement.
Enfin, sans manifester une once d’émotion, il laissa tomber :
– Elle est morte.
Le vieillard rouvrit les
yeux et se rassit lentement, pesamment.
– Alors
que Dieu vous pardonne, murmura-t-il, le regard embué de larmes.
Pour
la première fois, le masque d’impassibilité de l’homme se craquela, et une
souffrance poignante se lut sur ses traits. Cela ne dura qu’une seconde. Déjà
il avait fait volte-face et s’éloignait. Henry Barrett resta seul, son corps
malingre secoué de violents sanglots.
XIV
Assis
au pied du lit, Walter regardait l’inconnue dormir ; son sommeil était
souvent agité, mais pour l’heure elle reposait paisiblement. Il se levait pour
rajuster sa couverture quand Mrs. Crane entra.
– Je vais la veiller à mon
tour, chuchota-t-elle. Va te reposer.
Walter embrassa sa mère.
– Appelle-moi si elle se
réveille.
Dans
sa chambre, sur une petite table près de la fenêtre, une pile de journaux
attendait d’être compulsée. Depuis sa rencontre avec la fugitive, une semaine
plus tôt, Walter achetait chaque jour les différents quotidiens distribués à
Londres, à la recherche d’un article qui lui dévoilerait l’identité de la femme
qu’il avait recueillie chez lui. Mais ses espérances avaient été déçues :
la presse ne semblait préoccupée que des meurtres de la Dame Noire. Les détails
sordides des crimes s’étalaient crûment dans les journaux, toujours prompts à
satisfaire l’appétit de l’horrible et le goût du sang du public. Tous les
quotidiens y consacraient chaque jour plusieurs pages riches en descriptions
effroyables et hypothèses plus ou moins saugrenues, cartes et plans à l’appui.
Découragé,
Walter n’avait pas consulté la presse depuis trois jours. Davantage par acquit
de conscience que dans l’espoir de découvrir enfin quelque chose, il s’assit et
parcourut les journaux un à un. Il arrivait à la fin de la pile quand, tout à
coup, ses doigts se mirent à trembler. D’un geste fébrile, il étala sur la
table l’exemplaire du London City News daté du 14 septembre et lut
avidement l’article qui avait attiré son attention, signé d’un certain Jeremy
Shaw. En quelques lignes, celui-ci relatait la fuite de lady Angelia Killinton,
épouse de feu lord Robert Killinton, de l’asile de Reinfield, situé à quelques
miles de Hampstead.
Walter
interrompit un instant sa lecture. Lady Angelia Killinton… Telle était donc son
identité. Angelia… C’était un fort joli prénom… Mais la suite de l’article lui
glaça les veines, et partant mit fin à toutes ses velléités de rêveries. Il
était en effet indiqué qu’Angelia Killinton souffrait de graves désordres
nerveux, et que, pire encore, elle avait lors de son évasion poignardé à mort
l’une des infirmières de l’asile.
Walter
relut trois fois la phrase avant de reposer lentement le journal.
Une meurtrière. Il
hébergeait chez lui une meurtrière.
Il
demeura longtemps roide et immobile, une multitude de questions tourbillonnant
dans son esprit.
Un
nœud brûlant au creux du ventre, il se leva et se dirigea vers la porte. Ses
gestes étaient lents, machinaux, et, l’espace d’une minute, il se fit l’effet
d’être un pantin de bois mu par une manivelle.
Sa
mère se trouvait toujours près d’Angelia. Sans répondre à son regard
interrogateur, il s’assit à côté d’elle et s’absorba dans la contemplation de
la malade.
Cela
dura des heures, pendant lesquelles Walter ne quitta pas des yeux le visage
d’Angelia.
Et, enfin, il prit sa
décision.
*
Un
dimanche matin, alors que sa mère était sortie assister à l’office, Walter
entra dans la chambre d’Angelia, les bras chargés du plateau du petit déjeuner.
Il
n’avait pas fait un pas dans la pièce que la porte claqua dans son dos.
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