Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
inquiétude.
– Vous
devez croire que j’exagère, que mon intérêt pour Sarah Ellison me prive de
toute objectivité. Pourtant, cet homme était réellement dangereux, et cet
aspect de son caractère se dévoilait quand on avait l’audace de se dresser
contre sa volonté. Il m’a menacé de me faire renvoyer, voire pire encore,
lorsque je lui ai interdit de visiter sa femme. Malgré tout, il a trouvé un
moyen de surveiller son épouse en imposant à ses côtés la présence de sa femme
de chambre. J’ai cru au début qu’il agissait par sollicitude, voulant éviter
que Sarah ne se sente seule ; je n’ai compris que plus tard que la
domestique le tenait informé des moindres faits et gestes de sa maîtresse. Je
suis convaincu qu’il la faisait espionner de crainte qu’elle ne dévoile des
informations susceptibles de le compromettre. Mais elle était trop terrifiée
pour se laisser aller à de telles confidences…
Le
médecin secoua de nouveau la tête, tandis que Cassandra évaluait le crédit
qu’elle pouvait accorder à ses propos. L’histoire contée par Henry Barrett
revêtait une couleur passablement mélodramatique propre à éveiller son
scepticisme.
– Vous
n’avez donc aucune idée de l’identité réelle de cet homme ?
– Pas la moindre, répondit
le vieillard.
Puis,
comme s’il se rappelait soudain quelque chose, il fouilla les poches de son
gilet avant d’en extraire un fin mouchoir de batiste.
– C’est
le seul objet que Sarah ait laissé derrière elle lorsqu’elle a quitté l’asile,
dit-il d’un air mélancolique.
– Vous
l’avez toujours sur vous ? s’exclama Cassandra, stupéfaite.
Affreusement gêné, le
petit homme s’empourpra.
– Non,
non, marmonna-t-il, après quoi il se lança dans une explication aussi
embrouillée que peu convaincante.
Mais
Cassandra ne l’écoutait plus. Un détail avait attiré son attention et elle
tendit la main pour examiner le carré de tissu de plus près. Le médecin le lui
donna de mauvaise grâce.
– Faites attention,
murmura-t-il.
– Bien entendu.
Elle
retourna délicatement entre ses doigts le mouchoir dont la couleur blanche
originelle s’était muée avec le temps en une teinte ivoire. Dans un des coins
étaient brodées des armoiries : une couronne surmontant un heaume et un
blason encadré par deux lions.
Ces
armoiries paraissaient familières à Cassandra. Ébranlée, elle les fixa
longuement, sans parvenir à se rappeler où elle les avait vues.
D’un
geste lent, Cassandra rendit le mouchoir au vieillard qui l’observait avec
curiosité, sans doute surpris par son trouble.
– Les
Ellison avaient-ils des enfants ? interrogea-t-elle, mue par une impulsion
subite.
– Pas à ma connaissance.
Pensez-vous…
Cassandra
se leva brusquement, furieuse contre elle-même. Un instant, la jeune femme
avait été étourdie par l’éventail de possibilités qui s’ouvrait devant elle.
Mais elle n’avait pas de temps à perdre en chimères ; sa priorité devait
être Angelia.
– Je
dois partir, annonça-t-elle d’un ton abrupt en tendant la main au docteur
Barrett qui la serra dans la sienne.
– Bien sûr, je comprends.
Il
ne lâchait pas sa main toutefois et la regardait intensément comme pour graver
son image dans sa mémoire. Enfin, il la libéra avec un sourire triste.
*
Après
le départ de Cassandra, le docteur Barrett demeura prostré sur le banc. Il ne releva
la tête que lorsqu’un bruit de pas retentit sur le parquet. Vêtu d’un manteau
d’astrakan aussi brillant et chatoyant qu’une soie, un jabot blanc que
maintenait une épingle à tête de diamant noué autour du cou, un homme se tenait
devant lui, ses mains gantées de noir appuyées sur le pommeau de sa canne.
– Je
vous remercie de votre collaboration, docteur Barrett. Je ne doute pas que
votre récit marque durablement son esprit.
– Je
n’ai fait que lui dire la vérité, chuchota le vieillard, les yeux baissés.
– Certes,
et vous y avez mis beaucoup de sentiment. Votre diatribe à mon encontre était
particulièrement convaincante.
– Je
n’ai pas eu à me forcer ! riposta le médecin. Elle a été très attentive
aux armoiries sur le mouchoir. Etes-vous satisfait ?
Barrett
avait prononcé ces derniers mots d’un ton où le défi se mêlait à la honte.
L’homme hocha la tête.
– C’est
parfait. Vous avez respecté votre part du contrat, à moi de remplir la mienne
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