Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
Aerith !
s’exclama-t-il.
Julian
sursauta, l’air hébété comme s’il venait de s’extraire d’un rêve.
– Tu la connais ?
Il
n’aurait pas dû être surpris : fidèle habitué des raouts et réceptions
donnés par la haute société de la capitale, Edward était toujours au fait des
dernières nouvelles et des ragots mondains.
– Bien
sûr, Aerith est la fille de feu sir Thomas Verinder. Je l’ai croisée pas plus
tard que la semaine dernière lors du bal donné par les Finlay.
– Aerith…
quel étrange prénom… murmura Julian. C’est la première fois que je la vois,
comment cela est-il possible ?
Edward leva les yeux au
ciel avec une grimace comique.
– Si
tu passais moins de temps à lire dans ta bibliothèque et sortais davantage, tu
l’aurais déjà rencontrée ! Mais je dois admettre que cette fois tu as une
excuse : Aerith vivait à l’étranger depuis son enfance et n’est rentrée
que très récemment en Angleterre. Il n’est donc pas surprenant que tu ne la
connaisses pas.
Julian ne l’écoutait
plus. Dans la loge d’en face, Aerith s’était penchée vers la scène, une jumelle
de nacre à la main. Sa gracieuse silhouette se détachait sur le damas pourpre
qui tapissait le fond de la loge. Julian admira les courbes douces de son
menton, de ses lèvres, de ses épaules que l’échancrure de sa robe de soie rosée
mettait en valeur. Contrairement aux autres dames de l’assemblée, Aerith ne
portait pas de collier. Juste un ruban de velours noir qui soulignait la
blancheur et la finesse de son cou délicat.
– C’est
bien la première fois que je te vois ainsi subjugué, se moqua Edward dans son
dos. Tu es si raisonnable d’habitude !
Le
rideau était retombé sur la scène et les spectateurs commençaient à gagner les
sorties. Julian se leva à son tour et agrippa le bras d’Edward.
– Présente-la-moi,
enjoignit-il d’un air tendu.
– Je
vais le faire, il est inutile de me broyer le bras ! protesta le jeune
homme.
Julian
le lâcha aussitôt. Que lui arrivait-il ? Il perdait complètement la tête.
– Excuse-moi,
marmonna-t-il.
Edward
lui jeta un regard perplexe mais ne fît pas de commentaires. Ensemble, ils
quittèrent la loge et plongèrent dans la foule élégante qui refluait vers l’escalier
central de l’Opéra. Une odeur de musc, révélatrice des hommes de qualité,
flottait dans l’air, mêlée aux discrètes fragrances florales de leurs
compagnes.
Julian
n’avait aucun souvenir des personnes présentes, des paroles prononcées lors de
sa rencontre avec Aerith. Il ne se rappelait que d’elle seule, chaque détail
gravé dans sa mémoire. L’adorable sourire qu’elle lui avait adressé, sa peau
nacrée, l’éclat limpide de ses yeux mordorés, sa main menue dans la sienne.
Et
elle était de retour aujourd’hui, assise près de lui devant le piano, comme
s’ils formaient de nouveau un couple uni, comme si les années passées depuis
son départ s’étaient effacées d’un coup. Effacées la douleur, les larmes, la
trahison. Effacées la colère, la haine, la rancune.
Aerith
avait posé sa main sur la sienne et cherchait son regard. Son parfum, clair et
frais, évoquait des fleurs coupées. Troublé, Julian ferma les yeux.
Il
ne vit pas Gabriel sur le pas de la porte qui les observait. Silencieux, le
jeune homme s’éclipsa aussi soudainement qu’il était apparu.
Les
paupières toujours closes, Julian respirait profondément, luttant contre la
douce illusion dans laquelle Aerith l’avait emprisonné.
– Julian…
répéta tendrement la jeune femme en accentuant la pression de sa main sur la
sienne.
Tout
à coup, le charme fut rompu. Julian secoua la tête, honteux. Le passé ne
pouvait disparaître si facilement.
– Cessez cela
immédiatement, l’exhorta-t-il d’un ton sec.
Elle retira sa main tout
en le fixant d’un air interrogateur.
Julian se leva
brusquement et quitta la pièce, dans un mouvement précipité qui ressemblait
fort à une fuite.
*
À
mesure que les jours s’écoulaient, Gabriel se sentait de plus en plus seul et
misérable. Julian passait à présent le plus clair de son temps à travailler sur
le parchemin codé, souvent en compagnie d’Aerith. Sa présence à Lynton Hall
pesait à Gabriel, comme si une menace planait sur le château. Il la guettait
parfois, partagé entre haine et fascination, scrutait chacun de ses traits,
tentait de percer ses intentions. Julian
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