Le livre des ombres

pourriture. Voilà ce que savait Tenebrae.
    —
    Est-ce Brissot qui le lui avait dit? demanda Kathryn.
    La veuve Dauncey nia d'un mouvement de tête.
    —
    J'ai mon propre médecin. Pour le bien que cela pourra me faire, maintenant.
    Les larmes lui brouillèrent les yeux.
    —
    Je vous le demande, ne le criez pas sur les toits, Maîtresse Swinbrooke, mais j'étais sur le point de me marier.
    Elle sourit, et quand elle poursuivit, sa voix tremblait.
    —
    Je ne l'ai pas dit aux autres. Ce matin même, j'ai rendu visite à Procklehurst, dans Iron Bar Lane. Je voulais acheter une alliance pour mon fiancé.
    Devant la stupéfaction de Kathryn, la veuve proposa :

    — Allez-y vous-même. C'était un secret que Tenebrae ne connaissait pas. Mon fiancé était Fronzac, le clerc. Il m'avait demandée en mariage.
    Ce n'était pas une histoire d'amour passionnée, mais...
    La Dauncey tira un fil qui dépassait de sa robe
    — Vous alliez épouser Fronzac? demanda Kathryn.
    — Oui.
    Dionysia tendit sa main pour ajouter :
    — Il m'avait offert cette bague il y a deux jours.
    Kathryn regarda l'anneau en or.
    — A votre avis, qui l'a tué? demanda-t-elle.
    La Dauncey secoua la tête.
    — Si je le savais, je ferais vengeance moi-même.
    Elle se leva.
    —
    Mais je vous dirai ceci : Sir Raymond Hetherington et ses compagnons ont beaucoup à cacher, et Maître Foliot aussi.
    Elle sourit à Kathryn.
    —
    Oh, oui, reprit-elle, il ne m'a peut-être pas reconnue, mais je me souviens très bien de Theobald Foliot.
    — Ne parlez pas par énigme ! s'exclama Colum.
    —
    Il est la créature de la reine, rétorqua la Dauncey. Dites-moi, Maître Murtagh, vous qui avez si bien servi la cause des York : avant d'épouser le roi, Elisabeth Woodville était bien la veuve de John Woodville, un ardent partisan des Lancastre ?
    Colum opina.

    —
    Foliot, conclut-elle, était l'un des premiers hommes de confiance de John Woodville. Alors Dieu sait ce qu'il a à cacher!
    Sur quoi, elle sortit de la chambre.
    Colum se prit le visage dans les mains.
    —
    Nous avons pourchassé des meurtriers, Kathryn, des gens qui avaient tué sans mobile apparent, déclara- t-il lentement, mais dans cette affaire, tout le monde en a un.
    Il se redressa.
    — Une chose me préoccupe : Tenebrae était un mage, il recueillait des informations et faisait chanter les gens.
    L'Irlandais pointa un doigt sur Kathryn.
    — Vous, Maîtresse, que cela vous plaise ou non, vous êtes maintenant un citoyen important de cette ville. Je me demande s'il savait quelque chose sur vous ou moi.
    Kathryn fit la grimace et donna une bonne tape sur l'épaule de Colum.
    — Si c'était le cas, je m'en moque comme d'une guigne. Mais le mystère de sa mort demeure. Il serait facile d'achever nos rapports, de tirer un trait et de déclarer que c'est Fronzac qui a tué Tenebrae avant de se donner la mort. Mais ce n'est pas la vérité. Tenebrae était vivant lorsque Fronzac l'a quitté après sa visite, et nous n'avons toujours pas le grimoire.
    — Mettons que Fronzac n'ait pas tué Tenebrae.
    Dans ce cas, comment savait-il sur Louise Condosti une histoire aussi personnelle, intime même ?
    — Je l'ignore, admit Kathryn. Tenebrae le lui avait peut-être dit, ou alors Fronzac était-il un autre de ses espions ?
    Elle prit une profonde inspiration.
    — Mais je comprends ce que vous dites, Irlandais
    : la première et unique fois où Fronzac a provoqué Louise Condosti, c'était après la mort de Tenebrae.
    — Peut-être Fronzac a-t-il toujours été son espion, fit valoir Colum, et le mage lui glissait des bribes d'informations en retour. Après sa mort, Fronzac s'est dit qu'il pouvait utiliser pareils morceaux de choix pour son avantage personnel.
    — C'est possible, admit Kathryn qui gagna la porte. Faisons monter Maître Foliot, et allons fouiller la chambre de Fronzac pour y chercher le grimoire.
    Colum descendit à la hâte et revint, Foliot sur ses talons, grimaçant comme un chat.
    — Vous avez mis le pied dans une fourmilière, en bas, Maîtresse Swinbrooke ! À mon retour à Londres, je vous recommanderai aux magistrats de Sa Majesté. Vous avec un œil acéré.
    — Pas assez.
    Kathryn exposa rapidement les conclusions auxquelles elle était arrivée.
    — Fronzac a peut-être tué Tenebrae et volé le grimoire, avant de se servir de ses secrets contre Maîtresse Condosti.
    Elle marqua une pause puis poursuivit :

    — Fronzac a dû se prendre pour le nouveau maître chanteur,