Le livre du cercle
même à courir.
— Reste
où tu es ! lui lança James.
Dans
sa terreur, le garçon ne tint pas compte de l’avertissement, mais il eut à
peine le temps de faire quelques foulées que les Mamelouks le rattrapaient. Ses
hurlements durèrent un bon moment, le temps pour les soldats de le jeter au sol
et de le massacrer avec leurs épées. Puis les cris cessèrent. Quand les soldats
s’écartèrent, la mâchoire de James se contracta en voyant le spectacle du corps
ensanglanté. Comme il avait tenté de se protéger en les levant devant lui, les
bras du sergent étaient proprement déchiquetés. Des estafilades rouges
lacéraient horriblement son visage et son corps était transpercé en plusieurs
endroits. Les soldats marchèrent ensuite en direction de la compagnie. Un
silence absolu régnait. James entonna une prière en son for intérieur.
On
leur fit enlever leurs manteaux, de même que leurs cottes de mailles et leurs
maillots de corps. Ainsi dévêtus, on les força à se mettre à genoux. James vit
que son manteau blanc était jeté au feu tandis qu’on donnait son armure à un soldat
mamelouk en guise de trophée. Enfin, on les attacha tour à tour avec de lourdes
chaînes.
Quand
tout cela fut terminé, Baybars s’avança. Puis il baissa les yeux pour regarder
James.
— Je
n’ai peut-être pas tenu parole, chrétien, mais je suis un homme raisonnable.
Il
s’interrompit un instant puis hocha la tête en voyant à l’expression de James
que celui-ci avait compris ses paroles.
— Je
vous offre le choix. Traduis ce que je vais te dire à ton commandeur.
Pendant
que Baybars lui expliquait de quoi il retournait, James sentit la nausée
envahir son être tout entier. Quand il eut fini ses explications, la tête de
James était inclinée, comme sous le poids d’un fardeau trop lourd.
— James
? le pressa le commandeur, qui avait attentivement suivi l’échange. Que se
passe-t-il ? Ce que je crains est-il en train d’arriver ? Veut-il nous emmener
au Caire pour faire de nous des esclaves ?
Pendant
un moment, James fut incapable de répondre. Puis il se força à relever la tête.
— Non,
nous ne serons pas faits prisonniers, dit-il en s’adressant au commandeur mais
en gardant les yeux rivés sur Baybars. Le sultan nous donne le choix.
James
s’exprimait d’une voix assez forte pour être entendue de toute la compagnie.
— Ou
bien nous renions le Christ et nous nous convertissons à l’Islam, ou bien nous
choisissons de mourir en martyrs comme des chrétiens. Nous avons la nuit pour
décider de ce que nous allons faire, nous sauver ou être exécutés par
décapitation.
À l’extérieur de
Safed, royaume de Jérusalem,
23 juillet 1266
après J.-C.
Chaude
et suffocante, la nuit n’en finissait pas. Les chevaliers et les sergents
étaient toujours agenouillés à même le sol. Les premières heures, la plupart
d’entre eux étaient restés silencieux. Chacun était perdu dans ses pensées. Ils
avaient écouté les bruits du campement, les murmures des gardes qui les
surveillaient, et les cris qui leur arrivaient depuis Safed, où l’on massacrait
les hommes tout en rassemblant les femmes et les enfants. Il était minuit passé
lorsque le commandeur sortit du mutisme.
— C’est
l’heure.
Les
hommes semblèrent revenir à la vie et tous les yeux se tournèrent vers lui. La
fureur du commandeur avait maintenant disparu. Il semblait avoir recouvré son
calme.
— Nous
devons faire un choix. À titre personnel, ma décision est prise. Mais nous
sommes frères, et en tant que tels, nous devons parler d’une seule voix.
Personne
ne lui répondit. Les sergents les plus jeunes le regardaient attentivement,
mais les plus âgés et les chevaliers, ceux qui servaient le Temple depuis des années,
préféraient détourner les yeux. Ils savaient très bien quelle était la décision
à prendre.
— Il
y a vingt ans, je me suis agenouillé devant le chapitre à Paris et on m’a fait
chevalier du Temple. Si depuis ces lointaines années, ma chair s’est affaiblie,
ma foi ne l’est pas. Les vœux que j’ai prononcés ce jour-là me sont toujours
aussi chers. Je sais ce qu’on attend de moi. Nous le savons tous, mes frères,
même ceux qui n’ont jamais porté le manteau. Nous nous sommes engagés à
sacrifier nos vies au service du Temple.
Certains
chevaliers hochaient la tête, comme si le commandeur trouvait en cette occasion
les mots qu’eux-mêmes auraient souhaité
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