Le loup des plaines
Olkhunuts. Alors seulement Wen Chao tendit la main vers
un plat, remarqua-t-il. L’homme avait une trop grande habitude de l’intrigue et
des coups retors, cela le rendait dangereux.
Toghril aussi nota la chose, considéra un moment le morceau
de viande qu’il tenait entre ses doigts avant de le fourrer dans sa bouche avec
un haussement d’épaules.
— Tu veux mener les Kereyits ? demanda-t-il à Temüdjin.
— Pour cette seule bataille, comme je l’ai déjà fait.
C’était le cœur du problème et Temüdjin pouvait comprendre
les craintes de l’énorme khan.
— J’ai ma propre tribu maintenant, Toghril. Beaucoup se
tournent vers moi pour trouver à la fois la sécurité et un chef. Une fois les
Tatars écrasés, j’irai passer un an ou plus dans les terres clémentes du Sud. J’en
ai assez du Nord glacé. La mort de mon père a été vengée et je pourrai
peut-être élever en paix des fils et des filles.
— Pour quoi d’autre faisons-nous la guerre ? murmura
Toghril. Très bien, je te donnerai les hommes que tu réclames. Tu auras mes
Kereyits, mais après la bataille, ils m’accompagneront dans l’Est. Ne compte
pas qu’ils restent avec toi quand plus aucun ennemi ne nous menacera.
Temüdjin tendit la main ; les doigts graisseux de
Toghril se refermèrent sur les siens. Ils se regardèrent, aucun ne faisant
confiance à l’autre.
— Je suis sûr que mon épouse et ma mère aimeraient
maintenant rejoindre leur peuple, dit le jeune khan.
— Je vais te les faire envoyer, assura Toghril.
Temüdjin put enfin se détendre complètement.
Hoelun traversa le camp de son enfance avec Börte et Eluin, toutes
trois escortées par Khasar, Kachium et Arslan. Temüdjin leur avait recommandé
de rester vigilants. Les Olkhunuts l’avaient apparemment accepté, entraînés par
le cours irrésistible des événements. Cela ne signifiait pas qu’elles pouvaient
se promener n’importe où parmi les tentes en toute sécurité.
Alourdie par sa grossesse, Börte peinait à rester au niveau
de Hoelun. La jeune femme avait saisi l’occasion de revenir chez les Olkhunuts :
elle les avait quittés en femme de pillard ; les retrouver en épouse de
khan lui donnait un plaisir exquis. Elle avançait la tête haute, saluant ceux
qu’elle reconnaissait. Eluin tendait le cou d’excitation en cherchant sa
famille du regard. Quand elle aperçut sa mère, elle s’élança pour la prendre
dans ses bras. Depuis son arrivée au camp de Temüdjin, elle avait pris
confiance en elle. Khasar et Kachium lui faisaient tous deux la cour et Temüdjin
semblait satisfait de les laisser régler cette histoire entre eux. Sous les
attentions des deux frères, elle s’était épanouie. D’une voix à peine audible, elle
annonça à ses parents la mort de sa sœur et son père, accablé, s’assit
lourdement sur un rondin devant leur yourte.
Hoelun, quant à elle, n’éprouvait que de la tristesse. Tous
ceux qu’elle connaissait étaient devenus vieux ou avaient rejoint les esprits. C’était
une expérience étrangement déplaisante de revoir les tentes et les deels décorés des familles qu’elle avait connues enfant. Dans son souvenir, le camp
était resté le même mais la réalité était faite de visages inconnus.
— Verras-tu ton frère ? lui demanda Börte dans un
murmure. Ton neveu ?
On entendait au loin le bruit des sabots des chevaux des
Olkhunuts et des Kereyits que Temüdjin formait à sa tactique. Ils étaient à l’exercice
depuis l’aube et Hoelun savait que son fils les épuiserait pendant les premiers
jours. De nombreux Kereyits éprouvaient du ressentiment à devoir combattre aux
côtés de familles de rang inférieur. Avant même la fin du premier soir, deux
querelles avaient éclaté et un Kereyit avait été poignardé. Sans même laisser
au vainqueur la possibilité de s’expliquer, Temüdjin l’avait exécuté. Hoelun
frissonna en se rappelant l’expression de son fils. Yesugei se serait-il montré
aussi impitoyable ? Peut-être, s’il avait eu la chance lui aussi de
commander à autant de guerriers, pensa-t-elle. S’il était vrai, comme le disaient
les chamanes, qu’à la mort de chaque homme une partie de son être restait sur
la terre tandis que l’autre montait au ciel, Yesugei devait être fier de ce que
son fils avait accompli.
Eluin couvrait de baisers le visage de son père, mêlant ses
larmes à celles du vieil homme. Quand elle se leva pour partir, sa
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