Le loup des plaines
concentration. Après
quatre jours à se nourrir de quelques maigres poissons et d’une poignée d’oignons
sauvages, les fils et la femme de Yesugei mouraient de faim. Hoelun avait perdu
son énergie et demeurait apathique tandis que son bébé pleurait. Seule la
petite fille avait mangé à satiété les trois premiers jours, puis le lait de Hoelun
avait commencé à se tarir et les vagissements de l’enfant fendaient le cœur des
garçons.
Kachium et Khasar étaient grimpés en haut de la ravine pour
explorer les environs, cherchant une bête qui se serait égarée loin d’un
troupeau. Kachium s’était fabriqué un petit arc et trois flèches à la pointe
durcie au feu. Temüdjin leur avait souhaité bonne chance mais il savait que c’était
surtout de la sienne que dépendait le sort de la famille. Il sentait presque
dans sa bouche le goût de la chair de la marmotte qui venait de se dresser à
vingt pas de lui. C’était un coup qu’un enfant aurait pu réussir avec des flèches
empennées. Dans sa tête, il appelait les bêtes peureuses à s’aventurer un peu
plus loin de la sécurité de leur terrier, un peu plus près de lui.
Temüdjin battit des cils pour chasser la sueur qui coulait
dans ses yeux. La marmotte, sentant un prédateur à proximité, regarda autour d’elle.
Elle se figea et Temüdjin sut que le prochain mouvement serait une fuite
soudaine qui la ferait disparaître. Il lâcha sa flèche en même temps que sa
respiration.
Le trait atteignit la bête au cou. Quoique le tir eût manqué
de force, la flèche resta plantée dans la chair de l’animal qui, pris de
panique, s’efforça de l’arracher à coups de patte. Temüdjin laissa tomber son
arc, se leva d’un bond et se précipita vers la marmotte avant qu’elle se
réfugie sous la terre. Il vit le poil plus clair du ventre et les pattes qui s’agitaient
follement tandis qu’il courait, déterminé à ne pas laisser passer sa chance.
Il s’écroula sur la marmotte, l’agrippa. La bête se débattit
furieusement et, affaibli comme il l’était, il faillit la perdre quand elle se
tortilla pour échapper à son étreinte. La flèche tomba, du sang éclaboussa le
sol sec. Temüdjin se surprit à pleurer de soulagement quand enfin il put saisir
le cou de l’animal et le briser. La marmotte continua à tressauter un instant
contre sa jambe puis s’immobilisa. Temüdjin était à bout de forces mais ils
mangeraient. Pantelant, il attendit que son étourdissement passe, estima le
poids de l’animal. Il était gras et sain ; sa mère aurait de la viande
chaude et du sang, ce soir. Les tendons écrasés seraient déposés en couches sur
son arc et fixés avec de la colle de poisson pour lui donner de la résistance. Son
prochain coup porterait plus loin et il serait presque sûr de tuer. Les mains
sur les genoux, il rit doucement de l’immensité de son soulagement. Ce n’était
qu’une petite victoire mais elle avait tant d’importance pour eux.
Il entendit alors derrière lui une voix qu’il connaissait.
— Tu as pris quoi ? demanda Bekter en s’approchant.
Il portait son arc à l’épaule et n’avait pas les traits
tirés et le regard hanté par la faim comme les autres. C’était Kachium qui l’avait
le premier soupçonné de ne pas rapporter à la famille le gibier qu’il abattait.
Bekter acceptait volontiers sa part mais, au cours des quatre jours écoulés
depuis qu’ils s’étaient installés dans la ravine, il n’avait aucunement
contribué à leur subsistance. La façon dont il lorgnait la bête morte rendit Temüdjin
nerveux.
— Une marmotte, répondit-il en la soulevant.
Bekter se pencha, tendit subitement le bras pour la saisir. Temüdjin
fit un bond en arrière le corps mou de l’animal tomba dans la poussière. Les
deux garçons se jetèrent dessus, échangèrent coups de pied et coups de poing. Temüdjin
était trop faible pour faire plus que contenir l’assaut de Bekter avant de s’effondrer
sur le dos, hors d’haleine, les yeux fixés sur le ciel bleu.
— Je l’apporterai à notre mère, déclara Bekter en
souriant. Tu l’aurais sûrement gardée pour toi.
C’était rageant de s’entendre envoyer à la figure les
soupçons que Kachium nourrissait à l’encontre de leur frère aîné. Temüdjin
tenta de se relever, Bekter le maintint cloué au sol sous la pression de son
pied. Temüdjin ne pouvait pas lutter, il n’était plus de taille.
— Ne reviens pas à l’abri
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