Le loup des plaines
et d’oignon. Temüdjin le serra comme si c’était son dernier
espoir.
— Qui es-tu pour vouloir me sauver au péril de ta vie ?
Une partie de lui hurlait que c’était sans importance, qu’il
ferait mieux de fuir, mais il ne supportait pas de ne pas savoir.
— J’ai prêté serment d’allégeance à ton père Yesugei, répondit
Arslan. Maintenant, va. Je te suivrai dans la confusion des recherches.
Temüdjin hésita. Se pouvait-il qu’Eeluk ait tout manigancé
pour découvrir la cachette de ses frères ? Il ne pouvait courir le risque
de révéler à un inconnu la position de la ravine.
— En quittant le camp, chevauche cinq jours vers le
nord, du couchant au couchant. Trouve une colline haute pour me voir venir. Je
te rejoindrai si je le peux et te conduirai à ma famille. Tu as ma
reconnaissance éternelle, homme sans nom.
Arslan sourit du courage du jeune Loup. À de nombreux égards,
il lui rappelait son fils, Jelme, il y avait en lui un feu qu’il serait
difficile d’éteindre. Le forgeron n’avait pas eu l’intention de révéler son nom,
au cas où, repris, le fils de Yesugei serait contraint de parler. Sous le
regard ardent de Temüdjin, il reconsidéra sa décision.
— Je m’appelle Arslan. Je voyage avec mon fils, Jelme. Si
tu vis, nous nous retrouverons.
Il pressa brièvement le bras du jeune homme, qui faillit
laisser échapper un cri de douleur. Arslan remit en place le treillis et la
pierre, s’éloigna tel un chat dans la lueur glacée des étoiles. Temüdjin ne put
que partir en titubant dans une autre direction, rassemblant toutes ses forces
pour rester en vie et prendre le plus d’avance possible avant que la traque ne
commence.
Dans la lumière gris-bleu de l’aube, deux jeunes garçons se
défiaient mutuellement de s’approcher du bord de la fosse pour observer le
prisonnier. Quand ils trouvèrent enfin le courage de se pencher par-dessus le
trou, il n’y avait personne au fond pour soutenir leur regard et ils coururent
prévenir leurs parents.
Eeluk sortit de sa tente, le visage tendu d’excitation. Juché
sur le manchon de cuir passé au bras droit du khan, l’oiseau rouge ouvrit son
bec pour montrer la pointe d’une langue sombre. Deux chiens de chasse sautaient
autour d’Eeluk et, sentant son humeur, poussaient des aboiements frénétiques.
— Allez dans le bois, ordonna Eeluk à ses guerriers qui
se rassemblaient. Celui qui me ramènera le fuyard recevra de ma main un deel neuf et deux poignards à manche de corne. Tolui, avec moi. À cheval, mes frères.
Aujourd’hui, nous chassons !
Il regarda les féaux et les guerriers de moindre rang former
des groupes, vérifier armes et vivres avant de sauter en selle. Eeluk se
réjouit de leur humeur joviale et se félicita de sa décision de faire venir Temüdjin
au camp. Le voir affaibli et ensanglanté leur apportait peut-être la preuve
définitive que le père ciel aimait le nouveau khan des Loups. Après tout, il n’y
avait pas eu d’éclair foudroyant pour le châtier. Même les plus vieilles des
commères de la tribu devaient être satisfaites de ce qu’il avait accompli.
Il lui vint à l’esprit de se demander comment Temüdjin avait
réussi à sortir de la fosse, mais ce problème attendrait son retour. Le fugitif
ne pouvait aller loin, avec ses blessures. Quand on le lui ramènerait, il l’obligerait
à dire comment il avait escaladé les parois glissantes, et qui l’avait aidé. Eeluk
plissa le front. Y avait-il des traîtres dans les familles ? Si c’était le
cas, il les exterminerait.
Nouant la bride autour de son poing, il se mit en selle, prenant
plaisir à sentir la puissance de ses jambes. L’aigle déploya ses ailes pour
rester en équilibre. Eeluk sourit. Généralement, il lui fallait un moment pour
être tout à fait réveillé, mais la perspective de chasser un homme blessé lui
embrasait le sang. Sensible à l’excitation de son maître, l’oiseau rouge baissa
la tête, gratta son chaperon d’une longue serre. Eeluk défit la coiffe de cuir
et délia l’animal, qui s’envola avec un cri aigu. Le khan le regarda battre l’air
pour prendre de la hauteur. Son bras libéré du poids de l’aigle se leva jusqu’à
ce que le geste se transforme presque en un salut. Ces matins-là, il sentait la
terre. Après avoir parcouru le camp des yeux, il fit signe à Tolui.
— En route. Voyons jusqu’où il a réussi à se traîner.
Tolui sourit à son seigneur et
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