Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
Vom Netzwerk:
que je suis grandement coupable de m’être enivré d’illusions sur la clémence des temps qui s’ouvraient et de n’avoir pas pris les moyens d’aguerrir son cœur à la férocité. Je l’ai poussé délibérément hors de la carrière militaire et, avec la complicité du vicaire, j’en ai fait un savant. C’est un être plein d’humanité et de belles lettres à qui il aurait fallu dix dagues cousues à la doublure de ses habits, doux comme un agneau quand il devrait en permanence montrer les crocs pour faire fuir les méchants rameutés par son innocence.
    Je ne te rendrai jamais assez grâce d’avoir accepté de recueillir ce que j’ai de plus précieux au moment où un gouffre sans fond s’ouvrait sous mes pas. Use envers lui de tous les droits que je ne puis plus exercer : celui de le punir (je doute qu’il le mérite souvent), celui de l’obliger et, dès que tu trouveras quelqu’un qui soit propre à le rendre heureux, celui de l’établir. Je crois d’ailleurs qu’un mariage à terme point trop éloigné serait une bonne chose pour lui faire quitter la tristesse qui va si soudain envahir son existence.
    Je songe chaque heure à vous et je vous rendrai grâce jusqu’à mon dernier souffle.
    Jean de Felzins ».

    Victor, dès qu’il eut achevé sa lecture, releva un visage baigné de larmes.
    – Sa douleur se contient mal, murmura-t-il.
    – Mon cher enfant, opina le conseiller en regagnant son fauteuil, si ce nouveau siècle dont on nous promet merveilles a encore le pouvoir de produire des saints martyrs, votre père sera assurément du nombre.
    Après s’être assis à l’extrême bord de son fauteuil, le plus près possible de son pupille, il adopta un ton plus grave :
    – Je t’ai fait venir…
    Il rectifia :
    – Je vous ai fait venir…
    – Oh ! je vous en supplie, mon oncle, protesta Victor, poursuivez ce tutoiement, au moins dans nos particuliers… Ce sera le premier présent de votre nouvelle confiance.
    – Je désire t’entretenir, reprit le conseiller, de la dernière recommandation contenue dans cette lettre. Il s’agit de mariage et puisque j’ai cru comprendre que mademoiselle de Solsac ne te déplaisait pas…
    – Ah ! vous vous trompez, protesta Victor en blêmissant, aussi permettez-moi d’user sans délai de sincérité en vous confiant ce que je n’ai révélé jusqu’ici qu’à Hercule et avoué à demi seulement à ma tante…
    – Va ! fit le conseiller.
    – Eh bien ! tout en nourrissant des sentiments plus que fraternels pour mademoiselle de Solsac, j’aime une autre personne…
    – Qui ?
    – Clémire de Grandville, la sœur du défunt vicaire de Saint-André, une jeune fille douce qui ne pourra, j’en suis sûr, que vous plaire.
    – Je te crois puisque tu l’as distinguée, répliqua monsieur Davignon, assez maître de lui pour parvenir à dissimuler sa surprise, mais explique-toi un peu mieux !
    Victor narra alors en détail de quelle façon il avait rencontré la jeune orpheline et comment il s’était épris d’elle. Son oncle qui connaissait assez exactement le déroulement de l’affaire de Grandville put, au fil de ce récit, voir croître les émois des deux enfants. Leur active candeur, leurs honnêtes caresses, parvinrent à le toucher.
    – Je n’ai aucune idée préconçue, lança-t-il lorsque son neveu eut achevé de parler, puisque Diane est dans le sentiment où tu la décris, puisque tu aimes Clémire, Clémire sera tienne dès que je l’aurai agréée en place de ton père.
    – Oh, mon oncle ! s’écria Victor en bondissant au cou du géant.
    – Conduis-la ici demain dimanche et, si elle est selon notre cœur, nous lui parlerons ta tante et moi.
     
    Dès sept heures le lendemain, notre héros, vêtu de son habit de velours bleu nuit, s’était jeté dans le carrosse de ville de ses parents pour courir jusqu’à Colombes. Jamais sans doute, depuis qu’il résidait à Paris, n’avait-il montré visage plus avenant, ni entrain plus insolent que lorsqu’il dépassa à vive allure des maraîchers qui cheminaient vers l’église de part et d’autre de charrettes sur lesquelles s’entassaient des enfants en pèlerine. Tout en se penchant par moments à la portière pour encourager son cocher, un jeune homme aussi impétueux que lui, à faire redoubler le claquement de son fouet, il jetait l’un par-dessus l’autre mille projets, tous fous, marqués au coin de sa prodigieuse jubilation. Ne se voyait-il pas par

Weitere Kostenlose Bücher