Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
la plate-forme du sud, dite Sault-Gautier,
ou encore Beauregard, ou Mirande, à 75 mètres d’altitude, qui permet une
vue étendue sur la digue et le Couesnon. En passant par un bâtiment où est
installée de nos jours une librairie, on parvient enfin à la plate-forme de l’ouest,
partie de l’abbaye qui a le plus souffert du temps, puisqu’on s’aperçoit que
trois travées de la nef primitive de l’église ont été démolies, et que l’ancien
portail a dû être remplacé au XVIII e siècle
par une façade de style néo-classique qui n’est certes pas dans le ton général
de l’architecture du Mont. C’est sous cette plate-forme de l’ouest que se
trouvent les principaux vestiges de la primitive abbaye romane, dont l’entrée, à
cette époque, s’ouvrait par là, à flanc de colline, dans des conditions d’accès
assez difficiles.
Il y a heureusement d’autres exemples de cette architecture
romane qui a été celle de l’ancienne abbaye, quatre travées de la nef, les
piliers et les arcs triomphaux qui supportent la tour centrale également romane.
C’est au-dessus de cette tour qu’on a érigé la flèche de 40 mètres qui est
elle-même surmontée de la fameuse statue en cuivre repoussé et doré de saint
Michel, œuvre du sculpteur Frémiet. À l’époque romane appartiennent aussi le
transept et ses deux chapelles semi-circulaires, ainsi que quelques chapiteaux
de l’ancien portail encastrés dans la façade de style jésuite.
Le chœur roman s’est effondré en 1421, apparemment par suite
d’un glissement de terrain qui n’a rien à voir avec un vice de construction. Il
a été reconstruit de 1450 à 1521 en style gothique flamboyant tout à fait
remarquable par sa hardiesse. Ce qui frappe, dans la partie ogivale de l’édifice,
c’est la volonté délibérée de maintenir de justes proportions : on passe
insensiblement d’une époque à l’autre sans trop s’en rendre compte. C’est d’ailleurs
en vertu de ce principe que le Mont-Saint-Michel, en dépit des nombreuses
destructions, dues en partie à la foudre, a gardé une simplicité et une unité
assez peu communes dans le cas d’un monument qu’on a mis plusieurs siècles à
édifier.
Cependant, si l’église abbatiale demeure un bon exemple de
juste cohabitation entre deux styles essentiellement divergents, c’est la
partie nord de l’abbaye, ce qu’on appelle la Merveille, qui retient le plus l’attention
des visiteurs. Par le côté gauche de l’abbatiale, on peut pénétrer dans le
cloître qui occupe, avec le dortoir des moines, l’étage supérieur de cette
Merveille, dont la Salle des Chevaliers forme l’étage intermédiaire, l’Aumônerie
et le Cellier l’étage inférieur. Tout est ici construit sur le vide et ne tient
que par la volonté des architectes qui, de 1203 à 1264, en plein épanouissement
du style gothique rayonnant, ont entrepris la réalisation d’une des œuvres les
plus audacieusement folles de toute la Chrétienté occidentale. La Merveille est
en effet un immense édifice composé de deux bâtiments qui se font suite, avec
des niveaux d’étages un peu différents et des ordonnancements architechtoniques
particuliers. C’est l’enceinte claustrale qu’on peut reconnaître dans tous les
autres monastères, là où vivaient les religieux, en dehors du monde et du bruit,
dans le silence et la méditation, loin des pèlerins et des hôtes – qui étaient
logés au sud, loin même de l’abbé, n’ayant pour spectacle que la vue sur l’immensité
de la mer et les brumes tenaces qui, de tous temps, envahissent la baie. Tout est
en granit, d’une roche qu’on est allé chercher aux îles Chausey et transportée
sur des bateaux à fond plat. Tout répond ici à un plan savamment mis au point
et que, malheureusement, les circonstances n’ont pas permis de mener à son
terme : car la Merveille, dans l’esprit de ceux qui l’ont conçue, devait
continuer plus loin vers le nord-ouest et contribuer à faire de l’abbaye du
Mont-Saint-Michel le plus vaste monastère de l’Europe occidentale. Certes, répétons-le,
c’est de l’art normand, du plus pur style normand. Mais au lieu d’utiliser le
calcaire, les tailleurs de pierre du Mont, comme les constructeurs bretons de
Tréguier et de Saint-Pol-de-Léon, ont réussi à domestiquer le granit, cette
pierre dure et qui se travaille si mal, car elle s’effrite si on la martèle
trop violemment, et à en faire la matière
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