Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
dépendent étroitement du
Créateur et font partie de la création non incarnée, de la création invisible. Pour
connaître Dieu, il n’est pas nécessaire de passer par la contemplation
angélique dont parlait saint Bonaventure. Thomas est un rationaliste ; il
n’entre pas dans le jeu subtil de la mystique franciscaine. Et surtout, il est
hanté par les problèmes posés par Pélage qui prétendait que l’Homme était
capable de se sauver ou de se perdre lui-même, sans le secours de la grâce
divine, en toute liberté, et par sa nature. Le fatalisme musulman, comme la
consubstantialité cathare entre Anges et humains, n’est qu’une négation du
Libre Arbitre : or le péché originel ne se justifie que s’il y a Libre
Arbitre effectif, et donc existence en dehors de Dieu. Il en sera de même si l’on
tente d’expliquer la problématique chute des Anges. Au fond, Thomas d’Aquin
rejette la théorie de l’émanation qui était si chère aux premiers Pères de l’Église
et que les Cathares, suivant en cela la croyance gnostique, ont reprise à leur compte
dans le but de justifier l’existence du Mal, ce Mal étant considéré comme une
imperfection provisoire mais susceptible d’être néantisée.
On sait que la pensée thomiste va dominer l’Église romaine
pendant de nombreux siècles. C’est sans doute parce qu’elle constitue un moyen
terme, un véritable compromis entre deux notions ontologiques, compromis
rassurant dans la mesure où il assure que l’être humain est libre, mais que sa
liberté ne peut s’exercer pleinement qu’avec le secours de Dieu. C’était
corriger la rigueur de l’augustinisme par le laxisme apparent du pélagianisme, les
deux thèses ayant toujours constitué les deux pôles opposés de la recherche
théologique à l’intérieur du Christianisme. Les Anges sont donc remis à leur
place, à côté des humains, mais confirmés dans leur hétérogénéité et leur autonomie.
Qu’importe, après cela, si la croyance populaire s’aveugle de la présence
continuelle, permanente, des cohortes angéliques auprès des humains. L’Ange
gardien n’est pas celui qui ordonne le destin de l’homme, mais celui qui peut, lorsqu’on
le lui demande, apporter un conseil ou montrer le chemin qu’il faut emprunter
pour parvenir jusqu’à la Connaissance des mystères de Dieu. Mais en tout état
de cause – et c’est là que Thomas d’Aquin se révèle réellement dominicain –, dans
le brouillard qui entoure la destinée humaine, Dieu reconnaîtra facilement les
siens.
Le thomisme n’a pourtant pas fait l’unanimité au sein de l’Église
médiévale. L’Écossais Duns Scot, lui aussi influencé par l’héritage celtique
toujours latent dans les îles britanniques, et surnommé le « docteur
subtil », au demeurant mystique franciscain, va réagir aux thèses de
Thomas. Pour lui, en effet, les Anges sont plus près des hommes que de Dieu. Ce
sont des créatures qui peuvent d’ailleurs se révéler faibles, comme en témoigne
la chute de certains d’entre eux. Il en arrive à cette conception qui doit beaucoup
à la spéculation cathare : l’Ange et l’Homme ont les mêmes facultés
spirituelles, la différence étant que l’âme humaine a besoin du corps pour se
manifester, tandis que l’entité angélique se suffit à elle-même. Là, on frôle l’hérésie,
et les réfutations de Duns Scot ont été nombreuses chez les théologiens
orthodoxes. Il n’empêche que le problème était posé de façon définitive : la
primauté de l’Ange, créature divine au même titre que l’Homme, et comme lui
douée d’autonomie, tient au fait qu’il n’est pas obligatoirement lié à la
matière comme l’Homme. On le considère donc comme davantage capable d’accéder à
cette Connaissance tant recherchée, à cette Lumière divine qui est le but
suprême de toute démarche spirituelle.
Ainsi s’explique et se justifie la croyance aux Anges
gardiens. Ainsi s’explique et se justifie le culte rendu aux Anges, du moins à
certains d’entre eux, à qui on donne des noms symboliques, mais qui finissent, dans
la dévotion populaire, par devenir des personnages réels identiques aux martyrs
et aux saints. Il y a également un parallèle noir :
en même temps que le culte des Anges, va se développer un culte inversé, celui
des démons , dans le cadre très précis de la
sorcellerie, cadre commode puisqu’il sert de fourre-tout à toutes les croyances
et
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