Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
à tous les rituels d’origine païenne qui ont été rejetés par l’Église chrétienne.
Compte tenu de la faiblesse humaine, de l’incapacité de l’être
humain à appréhender le surnaturel, on sent la nécessité de recourir à ces
puissances supérieures que sont les Anges et les démons. L’enthousiasme
populaire suscite d’incroyables dévotions envers les lieux qu’ont fréquentés
les saints, les endroits où ils sont enterrés, les objets ou vêtements dont ils
se sont servis. On pourra toujours traiter ces dévotions de fétichisme, au sens
sexuel du terme, mais cela ne résoudra rien : en dernière analyse, le
fétichisme paraît bien être une dégénérescence, dans un cadre profane, d’un
désir d’ordre religieux d’établir un contact par tous les moyens entre l’inférieur
et le supérieur. La frénésie de certains jeunes spectateurs et auditeurs de
concerts de musique rock, qui recueillent pieusement des lambeaux de vêtements
ou des fragments de guitare de leur idole , appartient
au même phénomène que l’enthousiasme mystique des pèlerins de Lourdes qui ne
manquent pas de ramener un peu d’eau miraculeuse ou une médaille bénie par la
présence immanente de la Vierge Marie. La religion – tout au moins le sentiment
religieux – n’est certainement pas l’opium du peuple : il en est le moteur.
Et il n’y a pas de quoi en rougir, de quoi se retrancher derrière
un vague rationalisme qui consiste à traiter de superstition ou d’hystérie tout
ce qu’on ne comprend pas intellectuellement. Les choses étant ce qu’elles sont, et ce qu’elles étaient , le culte des Anges s’est
développé parallèlement au culte des saints et, bien entendu, au culte des
démons. C’est particulièrement évident dans le mythe de saint Michel vainqueur
du Dragon et surtout dans la façon dont ce mythe s’est actualisé et, en un
certain sens, incarné au cours du Moyen Âge dans l’Europe occidentale.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas jeter un regard critique
sur l’angélologie et sur le culte des Anges. La littérature patristique est
parvenue à un très haut degré de délire et d’absurdité dans l’organisation
théorique et intellectuelle qu’elle a proposée
de l’existence des Anges, de leur hiérarchie, de leur fonction, voire des
appellations données à ces diverses entités supposées réelles. En fait, l’angélologie
ne repose que sur des suppositions d’ordre poétique et mystique plutôt que d’ordre
métaphysique – l’ordre scientifique ou historique étant exclu d’emblée. Pris à
la lettre, les différents textes concernant les Anges demeurent un tissu d’absurdités.
Et cette constatation est valable pour les trois grandes religions dites monothéistes [13] , l’Hébraïsme, le
Christianisme et l’Islam. Peut-être convient-il d’examiner ces textes en fonction
de ce qu’ils évoquent, et non plus en fonction de ce qu’ils décrivent même sous
l’aspect de réalités suprasensibles. Autrement, on risque fort de retomber dans
des querelles parfaitement stériles entre les partisans de ce qui est sérieux
et de ce qui ne l’est pas.
Tout serait plus simple si l’on n’oubliait pas que, dans la
tradition hébraïque, les noms qui sont donnés aux Anges contiennent tous le mot
EL qui signifie « seigneur », « dieu ». Ainsi
trouverons-nous Hadriel (splendeur-dieu), Ratsoursiel (fracas-dieu), Chebouriel
(destruction-dieu), Pandiel (terreur-dieu), Guébouratiel (force-dieu), Arbiel (désert-dieu),
Domiel (silence-dieu), et bien entendu la tétrade qui, selon le Livre d’Énoch , mène le combat entre les puissances
ténébreuses, les archanges Ouriel (Lumière de Dieu), Raphaël (guérison par Dieu),
Gabriel (héros de Dieu) et Mikhaël (qui est comme Dieu ?). Tout se passe
donc comme si les Anges étaient des théophanies, des manifestations
fonctionnelles de Yahvé l’incommunicable, à l’image des dieux du paganisme qui,
à la réflexion, ne sont guère autre chose que des fonctions divines réduites à
leur aspect social, le seul qui puisse être compréhensible. Le fameux épisode
de la Genèse (XVIII, I et suiv.) où Abraham
reçoit trois visiteurs étrangers sous les chênes de Mambré apparaît
particulièrement révélateur. Les trois visiteurs sont en effet Mikhaël, Raphaël
et Gabriel, mais le patriarche s’adresse à eux comme s’ils ne faisaient qu’un, et
il leur dit « seigneur », au singulier. En
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