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Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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précisément, quand elle avait décidé de tenir coûte que coûte un journal.
    Elle était seule, Heinz parti en Allemagne
pour tenter d’y répandre le feu révolutionnaire.
    Les Armées blanches étaient défaites, le
pouvoir des Soviets victorieux. Julia avait accompli son devoir de
révolutionnaire, marchant aux côtés de Heinz, un fusil en bandoulière, ou bien
traduisant pour Lénine des lettres des camarades italiens ou allemands, des
articles de la presse étrangère.
    Et elle avait ainsi assisté dans la grande
pièce carrée du Kremlin, là où était situé le bureau de Lénine et son
secrétariat, aux explosions de colère, aux poussées de rage de celui qu’on
vénérait comme le chef et l’apôtre de la révolution mondiale.
    Lénine, qui le plus souvent était un homme courtois,
maître de lui, surgissait, le visage empourpré, agitant des feuillets. Il
fulminait, s’emportait contre la « canaille bourgeoise », cette « saleté »
qui continuait d’influencer certains camarades. Il gesticulait, lançait des
noms, ceux de mencheviks, de socialistes révolutionnaires qui s’opposaient au
parti bolchevique au nom de la démocratie, alors que l’heure était à la
dictature du prolétariat !
    Il stigmatisait d’une voix aiguë les traîtres,
les conciliateurs, les humanistes larmoyants, tous ceux qui, au nom du respect
des droits de l’homme, refusaient de « fusiller impitoyablement » et
devenaient ainsi les complices de l’ennemi. Ceux-là, il fallait les pendre à
une « corde puante » !
    Julia rentrait la
tête dans les épaules comme si Vladimir Ilitch l’avait désignée, accusée, elle,
comme s’il avait découvert qu’elle avait été effrayée, accablée par la violence
qui avait dévasté la Russie au nom de l’avenir, ou, au contraire, pour résister
à la révolution.
    Elle avait participé à la guerre civile, et souvent,
la nuit, maintenant que la victoire des bolcheviks était acquise, elle était
saisie de remords. Elle se réveillait le corps couvert de sueur. Elle
sanglotait. Elle en voulait à Heinz qui, couché près d’elle, dormait paisiblement.
    Elle se souvenait des cadavres qu’on avait
retirés à Kiev d’une fosse commune et qu’on avait alignés sur un talus. On ne
savait pas s’il s’agissait de combattants de l’Armée rouge ou bien de soldats
des Armées blanches qui tentaient de renverser le pouvoir des Soviets. Heinz l’avait
entraînée alors qu’elle était là à regarder ces cadavres en loques, et parmi
eux elle avait remarqué deux enfants aux corps blafards, et, entre eux, une
femme nue, peut-être leur mère. Car la guerre civile, ce n’était pas seulement
la haine et la faim, mais le règne de la cruauté.
    Quelques semaines plus tard, elle avait vu un
officier polonais pendu à un arbre par une de ses chevilles. On l’avait empalé,
et autour de son corps désarticulé, nu, les soldats de l’Armée rouge riaient
comme s’il ne s’était agi que d’un mannequin grotesque bourré de paille.
    Heinz avait retenu Julia, la prenant par le
cou, la bâillonnant de sa paume, l’empêchant de bondir et de hurler.
    Plus tard, prostrée, elle avait écouté Heinz
lui dire qu’il n’aurait même pas pu la protéger, qu’on l’aurait traitée de « canaille
bourgeoise », d’« aristocrate étrangère », d’« ennemie du
peuple », et peut-être l’aurait-on battue, violée, puis dénudée et pendue,
et lui avec elle. Car la révolution avait transformé le peuple en taureau furieux,
et c’était grâce à cette violence qu’elle avait triomphé, mais il faudrait des
années pour que le calme soit rétabli, que ce noir animal cesse d’éventrer les
chevaux et les hommes. Et si des soldats des Armées blanches s’étaient emparés
de Julia, avait poursuivi Heinz, ils auraient agi avec la même fureur, la même
haine, le même mépris ; ils lui auraient enfoncé un pieu entre les cuisses.
    Il n’y avait qu’une seule issue, qu’une seule
manière d’agir : tuer l’ennemi. Pousser le taureau noir contre les Blancs
afin qu’il les écharpe à grands coups de cornes.
    La révolution avait vaincu. Mais Julia avait
gardé en elle le dégoût de ce qu’elle avait vécu, l’horreur de ce qu’elle avait
vu, le remords d’avoir été complice de tant de carnages. Et c’est à ce moment-là,
sans doute au mois de juillet 1920, qu’elle avait éprouvé le besoin de tenir
son journal.
    J’ai retrouvé dans
le

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