Le Pacte des assassins
veut qu’on lui communique des
listes de noms. Il raye. Il tue. Il est fasciné par Hitler.
« Quand j’ai
appris l’assassinat de Samuel Stern, je me suis souvenu de ces confidences, de
son nom, Thaddeus Rosenwald, et aussi des propos que m’avait tenus Alfred
Berger cependant que nous roulions vers Bruxelles :
— Ce pacte avec Hitler, m’avait-il dit, ce
n’est pas seulement un coup de génie diplomatique de Staline, mais il va nous
permettre de purifier le Parti, l’Internationale. Les opposants vont sortir de
leur trou !
Il avait ri :
— Ils vont se réfugier dans leurs
synagogues !, avait-il repris. Et nous les écraserons comme des poux. »
La presse avait
rapporté à longueur de colonnes que Samuel Stern avait avoué, quelques jours
avant sa mort, avoir été un agent de l’Internationale communiste. Mais il
rompait avec le stalinisme, qui était le dévoiement criminel d’un grand idéal. Le
pacte Hitler-Staline venait de le confirmer. La guerre en Europe serait le
fruit empoisonné de cette alliance des deux dictateurs.
Stern-Rosenwald avait demandé la protection de
la police, qui lui avait été refusée. C’est pourquoi il avait songé à quitter
la Belgique. Les tueurs l’en avaient empêché.
François Ripert
ajoutait :
« Je n’ai posé
aucune question à Alfred Berger lorsqu’il est rentré à Paris sous une fausse
identité, peu de temps après la déclaration de guerre à l’Allemagne, le 3
septembre 1939.
M’inquiéter du sort de Thaddeus Rosenwald m’aurait
rendu suspect. J’ai “cloisonné”, même si je m’accuse aujourd’hui de lâcheté.
Mais, en cet automne et en cet hiver 1939-1940
– la “drôle de guerre”, disait-on ! – je me justifiais en pensant que
Rosenwald n’était que l’une des innombrables victimes de la lutte des classes
internationale à laquelle je voulais continuer de participer.
Elle était impitoyable.
Le Parti communiste avait été interdit par le
gouvernement d’Édouard Daladier. La police traquait les militants. Les
responsables avaient “plongé” dans la clandestinité.
Mon statut d’avocat me protégeait et j’étais d’autant
plus précieux pour le Parti. Je me grisais de mots, d’actions. J’étais le
soldat discipliné de l’avant-garde d’une armée rouge.
“Nous” – je me dissolvais dans cette
communauté –, nous, les persécutés, n’étions pas responsables de la barbarie du
monde dont la cause était le capitalisme, l’impérialisme.
Il fallait les combattre, leur résister. Je
justifiais tout : l’exécution de Rosenwald ; la désertion de Thorez
qui, mobilisé, avait réussi à gagner Moscou. Je plaidais pour de jeunes
ouvriers qui, appliquant à la lettre les mots d’ordre communistes, avaient
saboté des moteurs d’avions. J’argumentais avec fougue devant les juges. Il
fallait que la France choisisse, comme
l’URSS, de négocier avec l’Allemagne. Ces ouvriers n’étaient pas des traîtres, mais
des patriotes qui luttaient pour la paix. Et les pilotes morts du fait des
sabotages de leurs avions étaient victimes de la politique gouvernementale.
Parfois, un président de tribunal indigné m’interrompait.
J’invoquais alors les droits sacrés de la défense !
Et les pauvres jeunes hommes étaient condamnés
à mort.
« J’ai été un
partisan de cette politique devenue folle qui ne se souciait que de servir
Staline.
Et je suis allé au bout de ce qui m’apparaît
maintenant bien plus qu’une aberration, une abjection !
« Quand les
Allemands sont entrés dans Paris, le 14 juin 1940, après leur offensive éclair,
Alfred Berger, plein d’enthousiasme, m’a annoncé que le Parti allait profiter
de la défaite de la France pour sortir de l’ombre, reprendre la lutte au grand
jour, obtenir des autorités d’occupation le droit de faire reparaître les
journaux communistes, et d’abord L’Humanité.
Je me souviens de ma stupeur.
J’ai murmuré, je crois : “Mais ce sont
des nazis !”
— C’est leur intérêt
et le nôtre, m’a répondu Alfred Berger.
Son ton n’admettait aucune réplique.
Je me suis incliné.
Et j’ai ainsi livré mon fils à la mort. »
25.
« Mon fils… »
Je sais que François Ripert écrit ces mots d’une
main tremblante. Et sa bouche s’emplit de terre quand il lui faut ajouter que
ce fils est mort.
Il voudrait hurler, mais son cri ne peut
jaillir, son désespoir l’étouffé.
Il pose son crayon, écrase
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