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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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l’autre côté
de la tombe. Il a tourné les talons.
    Je me suis encore jeté de toutes mes forces contre les
policiers.
    « Papa ! Henryk ! Halina ! »
    C’étaient les cris d’un possédé. Je ne pouvais supporter l’idée
d’être éloigné d’eux à un moment aussi terrible, la perspective d’être séparé d’eux
à jamais.
    L’un des gardes s’est retourné et m’a lancé un regard
furibond :
    « Mais qu’est-ce que tu fiches, toi ? Va-t’en, sauve
ta peau ! »
    Me sauver ? de quoi ? En un éclair, j’ai compris
ce qui attendait la foule entassée dans les wagons et mes cheveux se sont
dressés sur ma tête.
    J’ai regardé derrière moi. L’esplanade presque vide
maintenant, les voies ferrées et là-bas les rues, la ville… Aiguillonné par une
peur animale, j’ai couru d’instinct dans ce sens. J’ai pu passer une des portes
sans encombre car je m’étais glissé dans une colonne d’ouvriers du Conseil juif
qui sortaient juste à ce moment.
    Quand j’ai retrouvé une certaine lucidité, j’étais dans une
artère inconnue, au pied d’un immeuble. Un SS a surgi sur le perron, accompagné
d’un policier juif. Il avait une expression impassible, d’un calme arrogant, alors
que l’autre rampait devant lui, empestait le désir de plaire. Il a tendu un
doigt vers le train arrêté sur l’ Umschlagplatz et, d’un ton sarcastique,
empressé d’établir une relation de camaraderie : « Tiens, regarde, ils
partent griller ! »
    J’ai suivi son regard. Les wagons avaient été fermés. Le
convoi s’ébranlait lentement, pesamment.
    J’ai pivoté sur moi-même et je suis parti en chancelant
devant moi, dans la rue déserte, secoué de sanglots, poursuivi par les cris
étouffés de tous ces êtres enfermés dans le train. On aurait cru le pépiement
oppressé d’oiseaux en cage qui sentent un danger mortel fondre sur eux.

10

Un sursis
    Je marchais, je marchais tout droit, sans même me demander
où aller. L ’Umschlagplatz et le train qui avait emporté ma famille
étaient loin derrière moi. Le bruit des roues sur les rails s’était déjà éteint,
elles étaient à plusieurs kilomètres de la ville désormais et pourtant je les
sentais encore tourner en moi. Chaque pas m’entraînait un peu plus dans ma
solitude, dans la conscience très aiguë d’avoir été irrémédiablement arraché à
ce qui jusqu’alors avait été ma vie. Je ne savais pas ce qui m’attendait, sinon
que ce serait pire que tout ce que je pouvais imaginer. Il était exclu de
retourner au logement que ma famille et moi avions occupé les derniers temps
car les SS m’abattraient sur place ou me renverraient au centre de sélection en
se disant que j’avais été oublié là par erreur. Je n’avais pas idée d’où je pourrais
passer la nuit et à cet instant je m’en souciais peu, même si les ombres du
crépuscule commençaient à éveiller une sourde angoisse dans mon inconscient.
    La rue était morte, apparemment. Les portes étaient fermées,
ou au contraire béantes là où les immeubles avaient déjà été vidés de leurs
habitants. Soudain, un policier juif est arrivé dans l’autre sens. Je ne lui
aurais pas prêté attention s’il n’avait pas pilé sur place en s’exclamant :
« Wladek ! » Comme je m’arrêtais, moi aussi, il a ajouté d’un
ton surpris : « Mais qu’est-ce que tu fais là, à pareille heure ? »
    Ce n’est qu’à cet instant que je l’ai reconnu : une
vague relation à moi que nous évitions soigneusement, dans ma famille, jugeant
qu’il était de moralité douteuse. Il arrivait toujours à se tirer des mauvais
pas, à retomber sur ses pieds grâce à des méthodes que d’autres auraient
trouvées plus que discutables. Sa piètre réputation avait été complète lorsqu’il
était entré dans la police du ghetto.
    C’est d’abord tout cela qui m’est passé dans la tête en le
voyant avec son uniforme infamant, et puis je me suis brusquement rendu compte
qu’il était une connaissance, la seule sans doute qui me soit restée à Varsovie
et en tout cas quelqu’un qui était lié, même en négatif, au souvenir de mes proches.
    « Voilà, c’est que… »
    Je voulais lui expliquer que mes parents, mes sœurs et mon
frère venaient d’être emmenés, mais les mots ne sortaient plus de ma gorge. Il
a immédiatement compris, cependant, et m’a pris par le bras :
    « C’est peut être mieux comme ça, a-t-il chuchoté

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