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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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succession de
gestes machinaux puis je me couchais le soir venu sur un lit de planches dans l’entrepôt
de mobilier sous contrôle du Conseil juif. D’une manière ou d’une autre, j’en
étais venu à accepter leur disparition, désormais certaine pour moi. Mère, Père,
Halina, Regina, Henryk…
    Il y a eu un raid aérien soviétique sur Varsovie et tout le
monde s’est réfugié dans les bunkers. Les Allemands étaient inquiets et furieux,
les Juifs enchantés même s’ils ne pouvaient le manifester, bien entendu. Chaque
bombe que nous entendions siffler dans les airs nous emplissait de bonheur :
pour nous, c’était le son avant-coureur de notre délivrance et de la défaite
nazie, la manifestation de la seule et unique force qui puisse nous sauver. Je
ne me suis pas mis à l’abri, ce jour-là. Il m’était bien égal de mourir dans le
bombardement.
    Pour les équipes de démolition de l’enceinte, la situation s’est
rapidement détériorée. C’était les miliciens lituaniens qui nous surveillaient,
désormais ; ils veillaient à ce que nous ne puissions rien acheter aux
camelots et nous fouillaient avec un soin accru au poste de garde lorsque nous
rentrions au ghetto le soir. Et puis, un jour, notre groupe a été soumis sans
avertissement à une sélection sommaire. Alors que nous revenions du chantier, un
jeune policier s’est placé devant la guérite, les manches retroussées sur les
bras, et a entrepris de nous trier à sa manière, c’est-à-dire comme à la
loterie : à gauche, ceux qui vont mourir, à droite ceux qui ont plus de
chance. Il m’a fait signe de me ranger à droite. Les hommes placés à gauche ont
reçu l’ordre de s’étendre au sol, à plat ventre. Il a sorti son pistolet et les
a tués un par un.
    Au bout d’une semaine environ, des affiches annonçant une
nouvelle opération de « réinstallation » des Juifs encore présents à
Varsovie sont apparues sur les murs. Trois cent mille d’entre nous étaient déjà
partis et sur ceux qui restaient dans la capitale vingt-cinq mille seulement
seraient autorisés à demeurer sur place. Il s’agissait des spécialistes et des
travailleurs que les Allemands jugeaient absolument indispensables au
fonctionnement local.
    Au jour dit, tous les employés du Conseil juif ont dû se
regrouper dans la cour du bâtiment abritant cette institution, et le reste de
la population dans la portion du ghetto comprise entre les rues Gesia et
Nowolipki. Afin de ne laisser aucun hasard dans la procédure, un des officiers
de la police juive, un certain Blaupapier, s’est placé à l’entrée du siège du
Conseil, un fouet dans la main, prêt à dissuader lui-même les contrevenants d’approcher.
    Ceux d’entre nous qui étaient autorisés à rester dans le
ghetto ont reçu un numéro imprimé sur une petite feuille. Le Conseil avait le
droit de garder cinq mille de ses fonctionnaires et ouvriers. Le premier jour, je
n’ai pas été sélectionné, ce qui ne m’a pas empêché de dormir tant j’étais
résigné à mon sort, alors que mes compagnons qui se trouvaient dans le même cas
se rongeaient les sangs.
    Le lendemain matin, j’ai reçu mon numéro. On nous a fait
mettre en rangs par quatre et nous avons été contraints d’attendre que les
membres de la commission de contrôle SS, présidée par l’ Untersturmführer Brandt, se donnent la peine de venir nous recompter, pour le cas où un nombre
excessif d’entre nous aurait eu la chance d’échapper à la mort.
    Au pas cadencé, encerclés par les policiers, notre colonne a
fini par quitter la cour du Conseil en direction de la rue Gesia, où nous
allions être logés. Derrière nous, la foule des condamnés s’agitait, hurlait, gémissait,
nous maudissait d’avoir été miraculeusement épargnés, tandis que les Lituaniens
chargés de superviser leur passage de vie à trépas tiraient dans le tas afin de
rétablir l’ordre, une technique qui leur était devenue des plus coutumières.
    Un sursis venait donc de m’être accordé encore une fois. J’allais
vivre. Mais pour combien de temps ?

11

« Francs-tireurs, debout ! »
    J’avais un nouveau logis, le énième depuis le temps où nous
vivions rue Sliska, avant la guerre. Cette fois, on nous a assigné des chambres
collectives, ou plutôt des cellules équipées du strict minimum. Je partageais
la mienne avec trois membres de la famille Prozanski et avec Mme A., une
dame silencieuse qui malgré la

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