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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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les yeux… non plus des yeux troublés par le délire, mais des yeux clairs, implacables…
    Les deux hommes virent ce regard où brillait la flamme de l’intelligence, où les vapeurs froides du délire s’étaient dissipées.
    Tous deux eurent le même frisson glacial.
    Ils comprirent que Léonore avait tout entendu.
    Elle se souleva, rassembla toutes ses forces pour rendre sa voix plus ferme, et prononça :
    « Vous vous trompez, mon père, je ne me tairai pas… je parlerai… Dès que je serai debout, je vous livrerai tous les deux. »
    Et comme ils se taisaient, frappés de stupeur, elle ajouta :
    « Vous avez rompu le pacte que nous avions conclu dans l’île d’Olivolo ; en profanant cette retraite de votre présence détestée, vous me déliez du silence que je m’imposais ; je parlerai donc. »
    Altieri se trouvait le plus près du lit.
    Il pencha sur Léonore un visage convulsé par la terreur. A ce moment, la passion qui jusqu’à ce jour avait été le grand mobile de ses actes et de ses pensées s’effondra d’un coup. La minute d’avant, il désirait passionnément Léonore ; la minute après, il la haïssait aussi profondément que s’il l’eût haïe depuis toujours.
    Il voulut prononcer quelques mots – probablement une insulte suprême. La voix expira dans sa gorge. Alors, lentement, il leva le bras, cherchant la place pour frapper, pour tuer d’un seul coup.
    Léonore, avec un indicible sourire de délivrance, fixa le poignard qui jeta un reflet dans le demi-jour. Le bras, soudain, s’abattit.
    Mais sous une brusque et violente poussée, l’arme dévia, laboura l’oreiller, à deux pouces du visage de Léonore, et Altieri, sous cette même poussée furieuse, chancela, fut éloigné du lit de trois pas.
    Et Dandolo se plaça devant sa fille, sombre, livide, tragique.
    « Je ne veux pas que ma fille meure ! gronda-t-il.
    – C’est toi qui m’as repoussé ? demanda Altieri, presque insensé, sachant à peine ce qu’il disait et ce qu’il faisait.
    – Oui, c’est moi.
    – Tu veux donc mourir aussi ?
    – Tout, plutôt que de permettre que tu la touches. »
    Altieri souffla fortement, se ramassa. L’instinct de sauvegarde qui dominait la violence déchaînée lui fit comprendre qu’il devait opérer sans bruit.
    Il regarda Dandolo. Jamais il ne l’avait vu tel.
    Cet homme faible, hésitant, facile à effrayer, venait de se transformer. Il était terrible. L’âme ancestrale des héroïques Dandolo, des vieux doges qui avaient fait la grandeur et la puissance de Venise, se réveillait en lui.
    Il était plus encore, il était mieux : il était le père.
    Altieri descendait aux abîmes de la terreur à mesure que Dandolo s’élevait. Il bégaya :
    « Misérable, tu veux donc que nous portions notre tête au bourreau ! Insensé, tu as donc appétit de l’échafaud !
    – Ah ! éclata Dandolo dans un sanglot terrible, la mort, le bourreau, l’échafaud, l’infamie, la prison, tout, tout, plutôt que cette suprême lâcheté ! Lâche ! Je l’ai été ! Toute ma vie, je me suis débattu contre la lâcheté. Je t’ai vendu ma fille, je t’eusse vendu mon âme ! eh bien ! je me reprends, voilà tout ! Le titre que tu m’as donné, je n’en veux pas ; la gloire, la puissance, le vieux palais empli de richesses, reprends tout ! Moi, je me reprends et je reprends ma fille. »
    Altieri fit un pas. Dandolo tira son poignard et dit :
    « Je te conseille de ne pas approcher de ma fille, si tu ne veux que je devance la besogne du bourreau.
    – Mort pour mort, rugit Altieri, j’aime mieux en finir ici ! »
    Et il se jeta sur Dandolo écumant. La lutte fut rapide et silencieuse. Il y eut quelques grondements, quelques chocs d’acier.
    Puis soudain, Altieri s’affaissa, l’épaule droite traversée de part en part. Il roula au pied du lit et essaya encore de saisir la main de Léonore. Mais le père, d’une poussée, l’envoya rouler plus loin… La blessure était sérieuse, non mortelle.
    Altieri ne perdit pas connaissance.
    Les yeux agrandis par la terreur, la face décomposée par la rage autant que par la souffrance, il regarda ce qui allait se passer.
    Dandolo, une fois Altieri repoussé, s’était tourné vers Léonore.
    Il ne dit pas un mot. Mais il s’agenouilla, prit la main de sa fille, y appuya son front brûlant et éclata en sanglots.
    Léonore se pencha vers lui et murmura :
    « Mon père !
    – Pardonné ! cria

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