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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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autre chose qu’un faiseur de vers. A mon tour, je vous dirai que, dès notre première entrevue à Mestre, votre aspect m’avait inquiété. Vous portez en vous quelque chose de formidable que je ne connais pas. Mais vous m’inspirez une confiance illimitée. Je vais vous dire ce que je suis et ce que je veux être… Ce que je suis ? Un homme sans nom, puisque je porte le nom de la petite cité où je suis né ; sans fortune, puisque je n’ai pas un écu vaillant ; je n’ai pas de père ; ma mère est morte à l’hôpital ; quant à moi, j’ai exercé divers métiers, notamment celui de domestique ; oui, moi, j’ai sur mon dos la brûlure de la livrée. Voilà qui je suis. Voici maintenant ce que je veux être. Je me sens dévoré d’appétits énormes. Une vaste intelligence bouillonne sous mon front. Et je veux ma place au soleil. Je veux être fort, je veux être riche. Les grands ! Je me hausserai à leur taille. Je veux faire trembler les princes et les rois. Et pour mener à bien ce plan gigantesque, je n’ai qu’une arme faible et dérisoire en d’autres mains, puissante et mortelle dans les miennes – la voici : »
    En disant ces mots, Pierre Arétin saisit une plume sur la table. Il la serrait dans son poing.
    « Avec ceci, reprit-il, j’ai déjà brisé bien des orgueils et fait ployer bien des puissances. Je tue avec le ridicule, comme d’autres tuent avec la dague. Je trempe cette plume dans l’encrier, et ce n’est pas l’encre qu’elle va distiller, c’est du poison. L’injure imprimée, la calomnie qui parcourt le monde, voilà, monsieur, de redoutables auxiliaires, voilà des forces auxquelles nul ne résiste ! Je n’ai pas de haine contre les hommes. Mais j’ai pour moi-même un immense amour. Je veux le bonheur de cet être spécial qui est moi. Je n’admire nul au monde que moi-même. Lorsqu’un homme me frappe, je me demande si je puis le faire servir à mon bonheur, et si cela est, je deviens son ami. Lorsqu’un homme m’accable de sa bonté, je me demande s’il peut un jour nuire à mon bonheur, et si cela est, je deviens son ennemi. Voilà ce que je suis, monsieur. Et vous ? »
    Roland ne répondit pas tout de suite. Il demanda :
    « Pourquoi mettez-vous ainsi votre âme à nu devant un étranger ? C’est une faute, cela, dans votre plan. »
    L’Arétin sourit.
    « Monsieur, dit-il, je suis extrêmement paresseux. Le travail est une déchéance, monsieur ; avoir le droit de ne rien faire, c’est une gloire. Et c’est pourquoi les hommes énergiques, forts et subtils font travailler les faibles. Mais si paresseux que je sois, j’ai dû me créer des outils perfectionnés pour édifier ma fortune. J’ai donc dû travailler. Je l’ai fait avec acharnement, avec rage, pendant dix ans. Maintenant mes deux outils – car je n’en ai que deux – sont prêts. Le premier, c’est la science du verbe, la connaissance des paroles qui caressent et des paroles qui empoisonnent. La deuxième c’est la science du visage humain, la connaissance de l’âme de ceux à qui je parle ; le premier, c’est donc l’écriture, et le deuxième, la lecture… dans ce livre qui s’appelle une physionomie.
    – Et ma physionomie vous indique que vous pouvez avoir confiance en moi ?
    – Oui, monsieur. Votre visage porte le stigmate indélébile d’une loyauté absolue…
    – Le stigmate ?…
    – Oui ! Car je considère la loyauté comme une faiblesse, une tare, une plaie. Vous voyez à quel point j’ai confiance en vous, puisque je vous suppose capable de ne pas me mépriser après de telles paroles.
    – Maître Arétin, dit alors Roland, vous avez bien des qualités pour réaliser le plan que vous vous êtes tracé. Mais moi qui suis physionomiste à mes heures, je vais vous donner confiance pour confiance, et vous dire que parmi tant de qualités qui vous étaient nécessaires, il vous en manque une qui est indispensable…
    – Laquelle, monsieur ? fit Arétin avec étonnement.
    – Le courage.
    – Le courage !… s’écria Pierre Arétin en pâlissant.
    – Oui… Vous êtes lâche. Et cela peut contrarier vos desseins.
    – Ah ! monsieur, vous êtes grand et vous êtes terrible. Vous venez, du premier coup, de toucher le fond de mon âme, et vous m’en voyez confondu… Oui, je suis lâche ; oui, j’ai peur. J’ai tout fait, tout entrepris pour me guérir de cette maladie. »
    Roland le toucha à l’épaule, et lui dit

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