Le poursuivant d'amour
mieux qu’il ruisselait comme s’il venait d’être exposé à une pluie battante.
Il se hissa. « J’ai peur. » Son sang froidissait ; son cœur bondissait et semblait heurter la muraille. Quelque chose de lugubre empâtait ses poumons.
« La gargouille… ou ce qu’il en reste ! »
Il la touchait, oui, mais du bout des doigts. Elle ne branlait pas. Il devait l’attraper à deux mains puis tâtonner encore, trouver une faille pour un de ses bouts de pied.
Il suait d’angoisse. Des gouttes filtraient à travers ses sourcils et ses cils et lui poivraient les yeux. Un ahan. Un moment, il fut dans le vide, complètement détaché de la paroi, mais il avait enfin empoigné la gargouille.
Il était maintenant libéré de ses transes. Sa dextre erra sur le mur. Elle y trouva du vide, un rebord, une ope 202 qui avait servi à la fixation de l’échafaudage. Il expira un grand coup, effrayé par cette découverte et soulagé en même temps. Il lui semblait qu’en bas, on tirait sur la corde. Illusion !
« Tu te cramponnes à la gargouille et à cette aspérité… Tes orteils, encore, trouveront bien de quoi soulager ton effort ! »
Sa tête s’alourdissait sous le poids du sang qui sans cesse y affluait. Jamais il ne s’était senti aussi gros et aussi pesant.
« Vas-y ! »
D’une traction des deux bras, il se hissa, farouche, haletant, cherchant d’un pied insistant une faille, une aspérité, quelque chose qui pût aider son ascension.
« Oui… Pousse… Regarde, plus haut, ce trou… Bien… Hisse-toi !… Bon sang, hisse-toi donc !… Qu’as-tu dans les membres ? Des muscles et du sang ou simplement des os ?… Tourne ton pied… Tu vois bien qu’il te gêne et te décolle du mur… »
Aucun interstice… Rien… Si !
Il poussa des deux pieds. Le senestre ripa. Il crut qu’il allait tout lâcher.
Il reprit sa pression, mâchoires crispées, les prunelles brouillées de sueur et de larmes.
Sa dextre, au bout de son bras levé, ne rencontra que du vide. Il la baissa. Aucun doute : ce qu’il touchait était une pierre travaillée, lissée, précieuse. Il avait atteint l’appui du crénelage et touchait l’assise d’un merlon.
« La senestre à présent… Ça y est ! »
Plaisir de sentir sous ses paumes endolories, le grenu des moellons soigneusement taillés composant le garde-corps d’un chemin de ronde.
Dernier effort. Son avant-bras dextre s’aplatit sur le rebord du parapet. L’autre. Il allait devoir les décroiser dans une étroite embrasure car les merlons étaient fort rapprochés. Difficulté mineure. Il en riait.
Poussant des pieds, il fit glisser ses bras entre les deux montants de pierre et parvint à les dénouer.
– Pousse encore !
Bientôt, il pourrait s’accrocher à l’arête d’un merlon.
« J’y suis… Une poussée encore sur le ventre… Je tiens bon… Ça y est ! »
Il rampa sur les dalles et regarda la cour. Il ne pouvait l’embrasser toute, mais ce qu’il en voyait l’émerveilla et le rassura : elle était vide.
Pas le moindre bruit d’une semelle qu’on plie, d’une toux, d’une voix. Rien. Une torche flambait devant l’un des bâtiments, une seconde devant le beffroi. L’autre édifice était éclairé du dedans. Une lumière dansait à hauteur d’homme.
Toujours allongé, mais sur le flanc, Tristan dénoua la corde liée à sa ceinture et, l’échine basse, alla l’assujettir solidement à un merlon. Il l’agita et la vit se roidir sous une traction exercée d’en bas. Bientôt Paindorge apparut et se jeta dans ses bras :
– Messire ! Messire !… Ce que vous avez fait dépasse l’entendement !
– Assurément, dit Callœt. Mais on n’est pas venus là, si bien élevés qu’on soit, pour remuer l’encensoir !… Reprenez votre badelaire, messire… Je dois vous révéler que vous m’avez fait peur. J’ai douté de vous, de nous…
Tristan sourit et, récupérant son arme :
– Pas tant que moi, Breton !… Pas tant que moi…
Et je t’avoue que dès notre retour sur la Goberde , je changerai mes braies !
– Si retour il y a, dit Morsang.
Il précédait de peu Sampanier et les autres. Bientôt tous furent présents.
– Alors ? demanda Raffestin.
– Avant de décider quoi que, ce soit, compères, il nous faut examiner les lieux autant que ces ténèbres le permettent. Gueguen, va par là, jusqu’à l’échauguette. Tâche de voir tout ce qui brille et ce qui
Weitere Kostenlose Bücher