Le poursuivant d'amour
se séparait de son père pour s’en aller devers Rouen.
– Es-tu parti guerroyer contre lui ?
– Non, beau-frère. J’étais las de la guerre. J’avais appris comment dame Pigache, qui devait veiller sur Luciane, avait trahi ma confiance en se séparant de ta fille. Craignant ma vengeance, elle avait, elle aussi, disparu. Comme toi, j’ai essayé de retrouver Luciane. J’avais le cœur brisé, le remords m’étouffait… Parfois on croit bien faire et on commet un crime ! C’est Pigache lui-même qui me dit que ta puce lie était en Angleterre. Mais où ? Avec qui ? Je ne pus obtenir rien d’autre que cette certitude…
– Hélas ! fit Ogier d’Argouges.
– Que fis-tu ensuite ? demanda Tristan.
Il observait ce visage volontaire, moins marqué par l’âge que par des événements nombreux et néfastes. Il se prit à songer que si ses malaventures continuaient, il deviendrait pareil à ces deux chevaliers hardis à la bataille mais si placides présentement qu’il pouvait douter qu’ils se fussent parfois courroucés.
– J’étais désespéré, reprit Thierry. Or, j’appris que le pape avait besoin d’aide pour la croisade qu’il voulait entreprendre contre les Tard-Venus 359 . Le cardinal Pierre Bertrandi, évêque d’Ostie, avait été promu capitaine et payait bien… Je suis parti pour Avignon… Or, le pape venait de traiter avec les compagnies… Contre quinze mille florins d’or, elles avaient accepté de se rendre en Italie pour s’allier au marquis de Montferrat en guerre contre les gens de Milan.
– Et tu es revenu ?
– Oui, beau-frère, en repassant par Rechignac afin de savoir si tu y étais monté. Or, le château était vide. Je suis allé prier pour toi, pour Luciane et pour nos morts à la chapelle. Il y avait, sur l’autel, un sac rond que les malandrins avaient respecté. Je l’ai ouvert… après eux.
– Tu as vu un crâne.
Thierry acquiesça d’un battement de paupières.
– Cette relique, dit Ogier, je l’ai ramenée d’Angleterre à Gratot. Un chevalier de la Langue d’Oc me compagnait : Etienne de Barbeyrac. Je la lui avais confiée. Je vois qu’il a été fidèle à sa parole… Ai-je besoin de te dire que c’est le crâne de mon oncle qu’un Goddon déloyal, Dartford, a occis lors d’un estekis 360 que Guillaume eût dû gagner malgré son âge ?
– Les Goddons sont pervers, dit Thierry. Nous le savons tous.
Tristan acquiesça sans trop de conviction.
– Et maintenant, que vas-tu faire ? demanda Ogier d’une voix affaiblie d’incertitude.
– Demeurer près de toi et de Luciane.
Tristan sourit, approbateur.
– C’est bien parler, parent, dit Ogier.
Puis, regardant alternativement Thierry et le sauveur de sa fille :
– Pardonnez-moi si je ne suis point disert. Mon âme a tellement jeûné que les mots quels qu’ils soient s’empêtrent dans ma bouche.
Il souriait d’un sourire restreint, ascétique, mais contrairement à ce qu’il pensait peut-être, son visage s’en trouvait illuminé. Ses yeux d’azur si clairs qu’ils semblaient taillés dans un morceau de ciel brillaient de mieux en mieux. Il guérirait de ses tourments. Il s’en débarrasserait comme il s’était débarrassé de ses penailles d’oblat.
– Souviens-toi, Thierry… quand nous sommes arrivés céans, venant de Rechignac. Nous avons refait ou consolidé dans ce châtelet tout ce que Blainville y avait détruit… Et puis, un jour, nous nous sommes exercisés aux armes pour affronter ce malandrin… Or, Charles le Mauvais, les Goddons, les routiers sont encore plus redoutables que cette vermine… Il va falloir recommencer à nous battre courtoisement. C’est toi qui me fourniras la leçon car je dois bien, vous deux, vous l’avouer : j’ai perdu la main.
Il y avait, dans ces mots-là, plus d’espoir que de mélancolie. Tristan voulut cependant stimuler ce ressuscité :
– Le moutier d’où vous sortez ne vous a point endommagé. Vous n’êtes ni gros ni maigre et à vous voir à cheval, on ne peut se leurrer sur ce que vous êtes toujours… Sitôt que vous tiendrez votre épée, vous frémirez d’aise !
Cherchant une diversion au malaise qui le dévorait, il fit quelques pas jusqu’à Raymond et Paindorge, imaginant quelle vie avait animé cette cour de l’aube au soir avant qu’un chevaucheur ne vînt chercher Ogier pour qu’il partît à l’ost ; avant que la pestilence noire et les routiers
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