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Le poursuivant d'amour

Le poursuivant d'amour

Titel: Le poursuivant d'amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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n’eussent emporté toutes les vies, même celles des chiens. Une sorte de rumeur hantait les lieux. Le vent, certes, dans les feuillages. Mais il n’était pas seul. Le château se peuplait des âmes disparues, la mémoire des pierres en était imprégnée. Tout ce qu’il pouvait embrasser du regard – la cour, le double porche d’entrée et les champs et les arbres au-delà de la jetée – paraissait avoir attendu le retour de ces deux hommes et de Luciane. Jamais ces granits, ces feuilles, ces vestiges qu’il faudrait relever n’avaient exprimé leur présence avec autant de puissance. Gratot sous le soleil se revivifiait.
    Tristan ne fut pas ébahi par ces bruissements. Il se retourna. Thierry et Ogier l’observaient. Sans qu’il pût vérifier l’expression du sien, il devina qu’elle ressemblait à celle de leurs visages. C’était celle de trois solitudes. À chacun d’eux, il manquait des êtres chers et particulièrement une femme. Au même instant, sans qu’ils s’en fussent défiés, ce mal d’amour reparaissait, les contaminait et les serrait à la gorge. Leur esprit s’égarait dans les abîmes de leur bonheur perdu. Leurs prouesses restées vivantes et l’orgueil qu’ils en pouvaient tirer ne pouvaient s’opposer à ce naufrage.
    – Nous finirons par être heureux, dit-il. Un jour viendra – lui seul sera glorieux – où cette guerre s’achèvera.
    – En êtes-vous certain ?
    Luciane, de loin, l’interrogeait. Si peu qu’il l’eût regardée, il avait vu ses joues roses, son clair sourire, son regard ambigu égaré dans le sien.
    – Y croyez-vous vraiment ? reprit-elle.
    Sa voix fine, chargée en profondeur d’émoi et de confiance, exprimait cependant le doute et l’anxiété.
    – Oui, m’amie… Je n’ai pas continuellement cru à l’éternelle Justice, mais Dieu ne pourra pas toujours être avec les Goddons, et saint Michel finira bien par prendre le dessus sur saint George !
    Il vit ses yeux briller entre deux cillements dont le soleil probablement était la cause et se complut à penser qu’elle était belle, différente de la jouvencelle dont l’ardeur guerrière l’avait décontenancé. Elle avait réintégré le château de son rêve. Entre son âme et celle des pierres, des communions intimes existaient déjà. Elle était fille d’Ogier et de Blandine mais au-delà de cette parenté, sa filiation, c’était Gratot ; c’était ce château qu’il avait déplaisance à quitter parce qu’elle allait vivre sans lui.
    – Belle fille et beau gars, confia sans baisser la voix Argouges à son beau-frère.
    Tristan s’interdit un geste de dénégation en se demandant si les gens qui, jadis, avaient admiré l’union de cet homme et de dame Blandine, son épouse s’étaient extasiés sur la perfection de leurs personnes, la noblesse de leurs mouvements et la simplicité de leur entente. Parfaite tromperie, en vérité, puisque selon Thierry, ce couple exemplaire avait périclité, cédant peut-être au repentir d’en avoir trop dit Ogier d’Argouges entraîna sa fille vers l’écurie :
    – Puisque tu m’as offert un second Marchegai, il me faut le soigner comme je soignais l’autre.
    Soulagé par ce départ, Thierry livra sa pensée :
    – Castelreng, mon compère, il te voudrait pour gendre.
    – Si j’épousais Luciane, qui te dit qu’il ne me jalouserait pas ? J’aurais sur lui des privilèges plus affermis et plus… profonds que les siens.
    – Il n’a point d’idées si tortueuses !… Je le connais bien.
    Luciane qui venait de sortir Marchegai abandonna le cheval à son père. Paindorge lui tendit une brosse, Raymond une étrille. Une conversation s’engagea. Thierry s’éloigna sous prétexte d’y participer. Tristan fit quelques pas. Luciane le rejoignit :
    – Ils nous laissent seuls. Voulez-vous que nous quittions ces murs ?
    – Pas trop loin : ni vous ni moi ne sommes armés.
    Elle eut un rire pointu qu’un seul regard suffit à é mousser.
    – Pardonnez-moi. Je suis heureuse et encline…
    – Je sais à quoi… à moins que ce ne soit à la méchanceté.
    Ils franchirent la jetée. À son extrémité, ils hésitèrent. Tristan prit Luciane par le bras pour la mener sous les ormes immenses dont la double colonnade rejoignait le chemin de Coutances. L’ombre y était propice aux aveux, aux baisers. Ils le savaient. Luciane sourit encore :
    – Pour la première fois depuis longtemps j’ai bien

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