Le poursuivant d'amour
mais attentifs, il les avait dénombrés d’autant plus aisément qu’ils ne se dissimulaient plus. Il ajouta, platement :
– Tu me conserves comme un trésor, Mathilde, et me convoyés 63 comme une fîerte 64 à la procession du Saint-Sacrement.
Comment se fussent comportés, en l’occurrence, ses deux premiers maris ? Brutalement. Ils ne l’eussent ni priée ni adjurée de renvoyer ses sicaires : ils se fussent saisis d’elle en menaçant de l’occire si ses dix trigauds 65 ne dégageaient point la voie.
« Me croient-ils incapable de violence ? »
– À quoi penses-tu ? Ton visage s’est éclairé comme si tu venais de voir le Saint Graal… Réponds, Tristan ! Est-ce encore Oriabel qui s’enfonce entre nous ?
Il mentit :
– Je songeais à la serviable Ydoine. C’est une reine – aux formes conséquentes – qui parfois, j’en jurerais, règne sur toi comme au temps de ta jeunesse prime… Elle devait détester Marie… qui lui faisait de l’ombre…
– Elle est ma chienne de maison. S’il te plaisait d’apprendre quelque chose à propos de moi, de mon château, des hommes ou de Marie, mieux vaudrait que tu m’interroges au lieu de t’adresser à elle, car si elle est ouverte par le bas à toutes les de mandes, elle est close pour toi de la bouche aux oreilles. Mais vois !… Il y a des visiteurs à Montaigny !
Et sans plus de souci d’être ou non accompagnée, Mathilde lança Aiglentine au galop et franchit le pont-levis toute courbée sur l’encolure de la jument car la herse n’était qu’à demi relevée. Panazol, qui l’avait suivie, sauta de son cheval avant elle afin de lui offrir ses bras. Tristan reçut dans l’œil le regard triomphant et empoisonné du rustique. Ce fut lui qui se sentit humble, mais sans que sa sérénité en souffrît : il vivait au-delà des préséances d’hommes.
Ayant mis pied à terre, il avança lentement, auprès de Malaquin dont il tenait, par la dextre, une branche de la buade (429) .
Il y avait six chevaux dans la cour. Cinq soudoyers fervêtus de mailles s’étaient assis et adossés sur le banc attenant au mur de la chapelle. Leur chef, également assis sur le montoir, au pied du donjon, jouait avec ses gantelets, les soupesant l’un et l’autre, sur ses mains creusées en plateaux de balance.
« Le fléau, c’est la tête ! » songea Tristan.
Il avait reconnu Guillonnet de Salbris. « Bon sang, ce décorum est-il pour moi ? » L’armure soigneusement fourbie, miroitait – du moins ce qu’il en voyait car un jaque de soie sans manches, gironné de sable et de safran, la couvrait du colletin aux tassettes. À ses pieds, un bassinet luisait, emplumé de pennes de paon coupées court. Même ainsi, dans un port apparemment débonnaire, Salbris suait d’orgueil et de forcennerie.
– Que vient faire céans cet immonde ? questionna Mathilde, plus courroucée qu’inquiète.
Dans la face du malveillant, salie par une barbe de quatre ou cinq jours, le sourire avait l’aspect d’une cicatrice noire. Lui qui les arborait aussi longs qu’une femme – et pour cause – coupait dorénavant ses cheveux à l’écuelle, et peut-être fallait-il voir dans ce sacrifice mineur le signe du deuil de Thomas d’Orge-ville. Ses plates (430) étaient celles qu’il portait à Brignais, apparemment neuves, à croire qu’il s’était mussé pendant la bataille pour n’apparaître que vers la fin et captiver avec ses hommes quelques routiers sanglants, incapables de se défendre. Il se leva, éloigna ses bras de fer de ses flancs à cinq ou six reprises, comme un oiseau frémissant des ailes avant de s’envoler, terriblement pareil à ce qu’il était dans Lyon avant que sa proie ne lui échappât de par la volonté de Mathilde.
– Je vous ai retrouvés ! dit-il en s’avançant. Vous devez en avoir une sacrée branle (431) !
– Nous ne nous cachions pas, que je sache, dit Mathilde. Quant à éprouver quelque émoi de vous voir, permettez-moi de vous dire, messire, que vous vous abusez !
– M’abuser ?… Mais, noble dame, j’ai plaisir, vraiment, à contempler deux amoureux au retour d’un petit reze 67 … Touchante vision, n’est-ce pas, mes hommes ?
Les cinq soudoyers acquiescèrent sans qu’aucun, cependant, ne fût enclin à partager la gaieté de ce chevalier que le poids de l’armure obligeait à fléchir les genoux. Tristan, tout en le considérant de bas en haut, sans oublier
Weitere Kostenlose Bücher