Le poursuivant d'amour
naguère fixé sur les hauteurs au point que l’on devait à ses « visions » la création de l’Ordre de l’Etoile, était loin, désormais, de ressembler à celui du guerrier assailli par une meute de Goddons. Certes, il demeurait rapide et furtif comme il seyait au chasseur ; mais cet homme dont on ne savait plus quel exil le tourmentait – Londres ou Paris – n’était rien qu’un Nemrod enclin aux petitesses. La veille, avec l’une de ces arbalètes qu’il prisait tant, il s’était réjoui d’occire, dans un des fourrés du bord de Marne, une biche et son faon ( qui s’abreuvaient, paisibles. Son grand veneur lui-même en était consterné.
Tristan voulut prendre congé. Il s’inclinait quand une main le retint par l’épaule.
– Nous avons le temps, Castelreng… Ma porte vous sera toujours ouverte. Vous m’avez plu, quand nous contrestions 133 aux Anglais… Sans doute nous sommes-nous réciproquement sauvé la vie… Puis ces malandrins nous ont séparés…
Ce qu’il souhaitait, autant que la réparation des affronts subis, c’était sa réhabilitation de roi, précisément au moment où son fils Charles apparaissait à tous comme un successeur convenable, modeste et doté des qualités de discernement et de modération qui lui avaient fait défaut tout au long de son règne. Tristan percevait cette malefaim de popularité, de ferveur, d’admiration que ses proches, jadis enclins sans doute à rassasier jusqu’à la nausée, feignaient désormais d’ignorer pour contenter les appétits d’un dauphin enclin aux jeûnes et austérités de toutes sortes. Jean II eût voulu maintenant être ce roi plein de majesté qu’il avait failli être, mais dont l’improbité, les manies, les carences et sentences mortelles, la mansuétude insensée envers son gendre, les fantaisies ruineuses et les amours suspectes avaient faussé l’ascension. Il eût voulu que ses sujets le prissent pour un preux et un justicier dont aucun ne pût contester la droiture, la hardiesse et la circonspection et que, tenant sa royauté de Dieu, il fut pour les honnêtes gens un exemple de sagesse et de dévouement à la France, et pour les autres une émanation de la fatalité. Hélas ! s’il avait su empoigner l’épée, voire la hache d’armes, il avait mal tenu son sceptre et sa main de justice. Il n’était plus qu’un otage aux abois, une espèce de miséreux doré sur tranches comme ses livres, et dont la turbulence entre ces quatre murs n’était que le sursaut d’une vanité meurtrie.
– Et mon mariage, sire ? Allez-vous demander son annulation ?
Tristan croyait avoir habilement manœuvré en exposant succinctement, dès son entrée, les raisons mensongères de sa fuite : la tyrannie de Mathilde, leur ample différence d’âge, l’espèce d’emprisonnement dont il avait souffert, et surtout son désir de servir pleinement la Couronne.
– Ah ! Oui, ce mariage, euh… salutaire… Cette gentilfame de Montaigny vous a sauvé la vie… Vous l’avez remerciée comme il se devait… Je ne vais pas écrire à Sa Sainteté le pape.
– Mais, sire…
– Laissez-moi achever, chevalier, je vous prie.
Cette fois, Jean II s’animait. Tristan se sentit envahi par une gêne extrême. En avait-il trop dit ? Le regard du roi allait de ses doigts 134 au joyau suspendu à son cou, qu’il s’était remis à balancer avec une négligence affectée :
– Je ferai mieux qu’écrire au Saint-Père : j’ai décidé de lui rendre visite… Pour ce qui vous concerne, Charles III d’Alençon, le fils de mon regretté parent, hélas ! mort à Crécy, et que vous avez entrevu à Lyon, sera informé de votre honnêteté 135 , car je ne sais encore si je passerai par Lyon pour me rendre en Avignon. Mais un fait est certain : vous appartiendrez à ma suite.
Tristan acquiesça de la tête. Il passerait par Castelreng soit à l’aller soit au retour. Peut-être y retrouverait-il Oriabel et Tiercelet. Il devait s’accrocher à cette espérance.
– Mais nous traverserons la Bourgogne, continuait le roi. Tout y est sûrement paisible, désormais.
Sa voix devenait âpre et fluait par saccades. Une voix souveraine ? Non, celle d’un homme aux espérances bafouées, mais qui voulait donner le change au petit hobereau immobile devant lui.
– Les routiers avaient accordé au comte de Tancarville une trêve jusqu’au jour de l’Ascension et, durant cet intervalle, ils promirent de ne pas
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