Le Prince Que Voilà
déposer ses lauriers aux pieds de la belle
Corisande. Il y est encore, paillardant comme rat en paille.
— Le Guise le sait-il ?
— Il ne le savait pas de prime,
dit Fogacer en se levant, son œil fort triste, sous son sourcil arqué,
effleurant la face de Silvio d’un air contraint et comme furtif. Il ne le
savait pas, répéta-t-il en tournant le dos et sa voix tout soudain redevenant
gaussante et sarcastique, aussi, voyant le Roi tout comme je le fais
maintenant, se chauffant à son feu et croyant, ou voulant croire, que Navarre
était mort, comme le bruit en courait en Paris du fait de sa disparition, le
Guise en demande des nouvelles à Sa Majesté. À quoi le Roi l’aguigne de côté,
regard que rend si parlant et si vif sa prunelle italienne, et lui dit en
riant, sur un certain ton que je ne saurais décrire tant il dit sans dire et
contient de choses : « Je sais le bruit qui court ici et pourquoi
vous me le demandez. Il est mort comme vous. » Vous m’avez ouï, mi
fili. « Il est mort comme vous. » Ha ! Tous les pédants de
Sorbonne que j’ai dits, mettant leurs cervelles à tas, pourraient, je pense,
gloser à l’infini sur cette petite phrase-là et lui trouver des milliasses de
sens, le plus manifeste n’étant pas le plus vrai. Exemple : « Il
est mort comme vous, qui êtes vif » : ce qui est plat. Ou
encore : « Il est mort comme vous qui, hélas, êtes vif. » Ce qui est mieux. Ou encore : « Il est mort comme vous dont je
souhaite la mort. » Ce qui est excellent.
Ayant dit, arquant son satanique
sourcil, il sourit de son lent, sardonique et sinueux sourire qui tout soudain
se changea en grimace amère, tous ses traits se contractant, se creusant et se
rapetissant en une expression de si âpre tourment qu’à l’envisager je restai
coi et ne pus rien articuler quand, me demandant mon congé d’une voix
étranglée, Fogacer se leva, tourna le dos, et avec le même regard contraint et
furtif à Silvio par-dessus son épaule, saillit de la librairie, long, mince et
funèbre en sa vêture noire.
Le silence persistant après son
départir, j’attendis que Silvio à son tour me demandât son congé, mais Silvio
restant immobile comme souche sur son escabelle, l’œil fiché dans le feu et la
mine résolue, encore que chagrine et comme effrayée, je pris le parti à la parfin
de lui souhaiter le bonsoir et de me retirer.
Six semaines après cette veillée qui
fut pour moi doublement malheureuse, (pour ce que j’y appris tout à la fois la
gravissime faillite du projet de mon maître, et le rongeant et déchirant souci
de Fogacer) ayant glouti au lever quelque morcel avant que de m’aller
chevaucher avec lui comme à l’accoutumée dans la forêt de Montfort, je fus
étonné, en gagnant l’écurie, de ne l’y point trouver, non plus que sa monture.
Ayant appelé mon Miroul, celui-ci vint à moi, la face controublée et me tendit
une lettre de Fogacer qui, me dit-il, était parti à la pique du jour pour Paris
en le priant de ne me réveiller point, son départir et les circonstances qui
l’y avaient poussé étant expliqués dans le pli, lequel, assez alarmé qu’il eût
décidé d’encourir seul les périls du chemin de Montfort à la capitale, j’ouvris
incontinent et je lus.
« Mi fili,
Il ne fut jamais en mon existence
traquée plaie qui me deuille davantage que celle-ci. Même le bûcher auquel je
suis deux fois voué, et par ma complexion et par ma décroyance, me serait
tourment plus bref, débouchant sur la mort miséricordieuse. Mi fili,
pardonne-moi de m’ensauver à l’anglaise et de laisser là Silvio, lequel sait
bien pourquoi. Hélas, plus je chemine en cette misérable vie, plus je découvre
qu’aimer ne peut être, à la parfin, que pâtir, et pâtir encore. Le douloir est
un très long moment.
Je te prie et supplie, mi fili,
m’adressant à toi comme à mon seul et immutable ami, que tu prennes soin et
souci de ce petit malheureux. Je ne le voudrais voir à la rue, affamé et sans
toit, tant je lui suis encore attaché dans les dents de sa trahison. Dès ton
retour en Paris, je te garnirai en les pécunes qu’il faudra pour pourvoir à son
entretien. Vale, mi fili. Les yeux me pleurent en écrivant ceci. Ne touche
miette ni mot de cette affaire à ton adorable épouse, laquelle est pour moi
mère, fille, sœur et beaucoup davantage. Mi fili, une brassée encore ! Les
prières faillant, qui me sont de nul réconfort, je te
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