Le Prince Que Voilà
informations de Mosca comme
étant, se peut, d’inspiration huguenote, le Duc, dis-je, décida d’en avoir le
cœur net, et ayant revêtu sous son pourpoint une cotte de mailles, et s’étant
fait accompagner, mais à distance, d’une forte escorte, s’alla promener à la
foire où, à la vérité, des écoliers de l’Université tout soudain l’entourant,
lui cherchèrent une querelle d’allemand et sortant les couteaux, l’eussent sous
leur nombre accablé, si les gardes du Duc, survenant, ne les eussent mis à
vaudéroute.
Je fus fort aise que cette occasion
raffermît la fiance que le Roi mettait en sa bonne mouche et, partant, à
moi-même qui rapportais ses bourdonnements. Et peux-je dire ici, sans m’en
paonner à l’excès, que j’avisai le Roi d’avoir à ôter leurs armes aux écoliers
dont les pédants crottés de Sorbonne avaient fait de fort turbulents et
dangereux ligueux, lesquels, à l’occasion, s’encontreraient à l’avant-garde
d’un tumulte populaire, s’il venait à s’en produire. Le Roi trouva l’idée
expédiente et bonne et envoya son procureur du Châtelet ainsi que ses commissaires
et sergents à l’Université pour y chercher et enlever les armes, tant blanches
que de feu. Mais le butin en fut fort maigre, ce qui laissa à penser au Roi que
l’Université ayant été prévenue par ceux des commissaires ou sergents qui se
trouvaient gagnés à la Ligue, avait caché lesdites armes en les couvents de ce
quartier, lesquels, à ce que prétendait Mosca, regorgeaient d’arquebuses, de
pistolets et de piques, dont la Ligue en ces lieux inviolables avait fait de
grands amas, dans l’attente de l’insurrection qu’elle préparait quasiment à la
découverte contre le Roi, et dont on disait partout qu’elle allait d’un jour à
l’autre éclater.
Hors pour aller voir le Roi et
toujours fort tôt le matin, je saillais peu du logis d’Alizon, craignant d’être
reconnu par les espions ligueux, encore que ce fût peu probable en la déguisure
où j’étais et, au surplus, la barbe que je laissais pousser me mangeant la
face, tant est que Quéribus, qui faisait la liaison entre le Roi et moi, comme
moi je l’assurais entre le Roi et Mosca, me devait venir voir chez Alizon, sous
le prétexte d’y accompagner ma sœur Catherine, laquelle, si on s’en ramentoit,
se faisait faire par ma petite mouche d’enfer vêtures et attifures. Et bien je
me souviens de la dernière visite de mon beau muguet de cour, laquelle eut lieu
fin mars pour ce qu’il m’y apprit alors les menées du Duc d’Aumale en Picardie,
laquelle province le Duc tenait quasi tout entière entre ses mains, hors Calais
et Boulogne, maugré ses répétés attentements contre ce port.
— Ha mon Pierre ! me dit
Quéribus, pardonnez-moi, je ne saurais vous embrasser, fait comme vous
voilà ! Je ne peux, tudieu, m’accoutumer à votre accoutrement, tant je
l’abhorre en mon imagination ! Fi donc ! Un marchand ! Et cette barbe !
Cette vêture ! La platitude de vos cheveux ! Ha mon Pierre !
Pour moi, je préférerais mille fois périr l’épée à la main à défendre mon Roi
que de me ravaler à cette indignité !
— Mais je défends aussi mon
Roi, dis-je, quelque peu piqué de ce discours. Et le défends là où une épée nue
n’y saurait suffire.
— Assurément, assurément, dit
Quéribus, et à vous déguiser ainsi, vous montrez une abnégation où je confesse
que je n’atteindrais mie. Cependant, Monsieur mon frère, à vous envisager ainsi
attifuré, à peu que je ne sois partagé entre le pleurer et le rire.
— Je serais infiniment navré,
dis-je roidement assez, si mon habit me faisait de vous dépriser, ayant, ce me
semble, d’autres titres à votre affection.
— Ha mon Pierre ! dit
Quéribus en rougissant, c’est moi le sottard céans ! Vous valez infiniment
mieux que moi qui ne suis, quand tout est dit, qu’un coquardeau de cour dont
l’unique mérite est d’être fidèle à son souverain. Pardonne-moi je t’en
supplie. Ta main, Pierre.
Je la lui donnai incontinent et je
vis bien, à son œil, qu’il fut fort déçu de n’y pas encontrer les bagues qu’il
y voyait d’ordinaire, mais sans le vouloir dire, tant il se trouvait vergogné
de m’avoir blessé.
— Pierre, dit-il, le Roi veut
que vous repreniez langue avec ce guillaume qu’il appelle Mosca (l’étrange
nom !). Pour ce qu’il est fort déquiété par la tournure des choses en
Picardie.
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