Le Prince Que Voilà
Bordeaux pour qu’il lui donnât
du ventre par ses usures.
À la fin des fins, on départit de
Mespech, ma sœur montée sur une haquenée blanche à côté de qui le bouillant
cheval de Quéribus se trouvait malgré lui fort empressé, mordillant son mors et
la gambe tant frémissante de cette lente allure que le baron, le trouvant sous
lui tant incommodé, ne pouvait qu’il ne lui lâchât la bride de temps en temps,
ce que voyant, ma Pompée qui n’avait mie consenti à se laisser passer par
quiconque – étalon, hongre ou jument – elle me requérait en
hennissant le galop que tout de gob je lui donnais à la poursuite de
l’insolente monture qui osait devant elle courir, et celle-ci ne voulant aussi
qu’on la rattrapât, il ne fallait pas moins qu’un chemin pentu et malaisé pour
les mettre en accord, soufflantes et félices de cette échappée, et mon Quéribus
et moi au botte à botte, et au pas.
— Mon frère, dis-je, nous
voyant éloignés assez du gros de l’escorte, éclairez-moi enfin d’un
mystère ! Je fus plus d’un mois à Barbentane pour me remettre de la
navrure au bras que les gueux m’avaient baillée quand au côté du Père Anselme
je délivrai les Montcalm de leurs griffes et pendant tout ce temps écoulé, non
seulement je n’ai mie jeté les yeux sur Larissa, mais je n’ai jamais ouï une
seule fois père, mère ou sœur mentionner son nom.
— Ha ! dit Quéribus avec
un soupir, la mine grave et triste, il y avait de bonnes raisons à cela !
Et il sied que vous les appreniez, comme, du reste, le Comte m’en a donné
mission, maintenant que vous allez entrer en son alliance. Car la pauvre
Larissa fut cause pour les siens de fort grands pâtiments et désespérances,
alors qu’il y avait apparence qu’elle aurait dû leur apporter autant de joies
que votre Angelina.
— Lui ressemble-t-elle ?
— Deux gouttes d’eau ne sont
pas plus semblables. La taille, le cheveu, l’œil, les traits, la voix, les pas
et la démarche, tout est chez l’une et l’autre si étrangement semblable que
vous ne sauriez que les confondre, si la Nature n’avait voulu mettre une marque
distincte sur la face de Larissa : une verrue qu’elle porte sur le côté
senestre du visage entre le menton et la commissure de la lèvre, particularité
qu’elle a toujours honnie et tâché de dissimuler sous un point de
pimplochement.
— Voilà néanmoins qui permet de
la distinguer.
— Nenni ! Car Angelina qui
est plus bénigne et piteuse qu’aucune fille de bonne mère en France s’est
souvent laissé persuader par Larissa de porter même point en même place, ce
qui, en leurs tendres années, a souvent épargné à Larissa le fouet qu’elle
méritait et valu à Angelina celui qu’elle ne méritait point.
— Ha ! C’était
trahison !
— Nenni ! Larissa n’est
point tant malicieuse qu’il y paraît à ces petites chatonies. Elle est
débonnaire aussi, quoique depuis l’enfance farouche et fantastique.
Hélas ! poursuivit Quéribus, j’ai peine à dire le reste.
Et il s’accoisa un petit, la tête
penchée et l’œil fixé sur les oreilles de sa monture.
— N’est-ce pas pitié, reprit-il
d’une voix songearde, qu’une famille tant noble, tant riche en vertus diverses
et tant connue pour son honorableté puisse être en butte aux embûches du démon ?
— Le démon ? dis-je, béant
et quasi décroyant mon ouïe.
— Qui d’autre ? dit
Quéribus, plus grave que je ne l’avais jamais vu, et lui à l’accoutumée si
piaffant et vaillant, l’air comme effrayé de ce qu’il m’allait dire.
« Oyez, Monsieur mon frère, poursuivit-il,
ce conte infiniment déplorable et dont je fus le témoin affligé, étant jeune
drole alors et m’encontrant en Barbentane chez mon cousin. Larissa marchait sur
ses treize ans, quand M me de Montcalm, s’entichant d’un galapian du
plat pays, le décrotta et en fit son page. Entendez-moi, je dis son page, et
non point son mignon, la vertu de la dame étant irréfragable et comme telle
partout connue, le béjaune ne lui étant rien qu’une manière de fils, elle qui
n’en avait point, et sachant bien en outre que le petit valet est chose en
grande usance en Paris chez les personnes du sexe qui se piquent de mode. Pour
moi, poursuivit Quéribus d’un ton roide, je sais ce que je sais, et si j’étais
les maris, je ne souffrirais pas cet extravagant et quotidien commerce avec ces
pages de ruelle, ces petits
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