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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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savoir un peu plus, comme je vous l’ai dit. Merci de m’avoir reçu.
    Thomas se leva à son tour pour reconduire son visiteur jusqu’à la porte. Encore une fois, il lui tendit la main en déclarant :
    â€” Ce n’est rien. Je suis heureux de me rendre utile.
    Quelques minutes plus tard, Mathieu retrouvait le trottoir de la rue Saint-Joseph. D’abord, il songea à prendre le tramway. À la fin, l’ascension au pas de course de l’un des escaliers très raides conduisant à la Haute-Ville lui parut un meilleur moyen de maîtriser le flot des émotions étreignant sa gorge.
    * * *
    Le 24 juin, le commerce de vêtements pour femmes ALFRED ressemblait à un vilain bouton sur le visage de la rue de la Fabrique. Toutes les vitrines des commerces avoisinants affichaient une abondance de drapeaux Carillon-Sacré-Cœur – le fleurdelisé orné d’un cœur saignant en son centre –, quelques drapeaux tricolores français et parfois, de façon incongrue, des Union Jack britanniques. L’entreprise du disparu présentait des rubans de crêpe noir, en signe de deuil. Dans un coin de la grande fenêtre en façade, aux pieds d’un mannequin vêtu d’une adorable robe d’été pervenche, un portrait montrait Alfred Picard souriant, les yeux vifs et pénétrants. L’été précédent, le photographe Livernois avait pu capter toute l’ironie habitant le personnage.
    Dans le commerce, Marie se promenait du rez-de-chaussée au premier étage, son ruban à mesurer autour du cou, attentive à bien recevoir les clientes. Les habituées murmuraient des mots gentils, accueillis avec un « merci » à peine audible et un sourire contraint. Thalie s’occupait avec un réel talent des parures, rubans, dentelles et gants fins. Avec les grandes vacances, les salles de classe lugubres cédaient la place à une vie besogneuse.
    Mathieu devenait un peu trop âgé pour se trouver vraiment à son aise dans cet univers de froufrous et de dentelles. Les convenances exigeaient que ce grand adolescent ignore tout des vêtements du sexe faible, surtout des dessous. D’ailleurs, au Petit Séminaire, son directeur de conscience s’inquiétait à haute voix des dangers d’un environnement aussi douillettement féminin pour son âme. Aussi demeurait-il sagement derrière la caisse enregistreuse, prêt à s’en éloigner pudiquement quand une acheteuse venait payer un bout de tissu dont seul son époux profiterait dans l’intimité. Ce serait son poste de travail habituel jusqu’à la rentrée, en septembre.
    Selon une tradition aussi ancienne que son existence, le commerce fermerait ses portes à midi afin de permettre aux deux vendeuses de profiter un peu des festivités de la Saint-Jean, organisées par des sociétés nationalistes sur les plaines d’Abraham ou au parc Victoria. Toutefois, cette année, le congé ne serait pas partagé avec la famille du patron.
    Quelques minutes avant midi, Mathieu vit un homme passer la porte et chercher quelqu’un des yeux. Les clients venaient rarement en ces lieux et ils affichaient toujours un air un peu gêné devant l’abondance de jupons. Celui-là présentait plutôt une résolution maussade.
    Le garçon quitta son poste pour venir vers lui, les yeux interrogateurs.
    â€” Madame Picard, Alfred Picard? commença l’inconnu en enlevant son chapeau.
    â€” C’est ma mère. Je vais la chercher.
    Marie descendait justement l’escalier en compagnie des deux vendeuses. Le sang se retira de son visage et son pas devint mécanique au moment de s’approcher.
    â€” Monsieur…?
    â€” Daoust. Je travaille pour le Canadien Pacifique. J’ai une mauvaise nouvelle…
    Mathieu s’approcha de sa mère afin de passer son bras autour de ses épaules alors que Thalie, venant du fond du magasin, se flanqua à sa gauche et prit son coude. L’homme continua :
    â€” Je crois que nous avons retrouvé le corps de votre époux.
    La femme encaissa le coup et ferma les yeux en aspirant une goulée d’air. Ce fut l’adolescente qui demanda d’une voix éteinte :
    â€” Où se trouvait-il?
    L’employé de la société de transport regarda Thalie, interrogea la mère du regard avant de

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