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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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continuer.
    â€” Pas très loin à l’est du lieu du naufrage, dans une petite anse bien abritée. C’est pour cela qu’il a fallu si longtemps…
    â€” Dans des joncs?
    â€” Oui…
    Tout en portant le bout des doigts de sa main gauche sur son cœur, l’adolescente ferma les yeux un instant. Son mouvement fit rouler des larmes sur ses joues. Par-dessus la tête de sa mère, le garçon laissa ses yeux se poser sur le petit visage de sa sœur, puis il s’éloigna de ses parentes pour rejoindre les vendeuses demeurées au pied de l’escalier. Elles pleureraient bientôt toutes les deux; mieux valait faire l’économie d’une scène de ce genre. En quelques mots, il leur demanda de quitter le magasin tout de suite, verrouilla la porte derrière elles et plaça une affiche indiquant « fermé » dans la fenêtre avant de revenir vers les siens.
    L’inconnu sortit une enveloppe de sa poche, récupéra quelques papiers à demi réduits en charpie par un long séjour dans l’eau et tendit l’un d’eux à Marie.
    â€” Nous avons trouvé cela dans la poche de son veston. C’est vous, je pense.
    Les doigts un peu tremblants tenaient une photographie presque effacée. La veuve saisit le bout de papier, le porta à ses lèvres en guise de réponse.
    â€” Évidemment, pour avoir une certitude, le mieux serait de venir l’identifier. Toutefois, je dois vous prévenir, après tout ce temps…
    Le naufrage était survenu près d’un mois plus tôt. Les vêtements, et non la dépouille elle-même, serviraient à l’identification.
    â€” Où se trouve-t-il? questionna Marie.
    â€” À la morgue, dans la Basse-Ville.
    â€” Je vais y aller, prononça Mathieu d’une voix qu’il souhaitait ferme.
    Marie porta son regard sur son fils et ouvrit la bouche pour protester. Celui-ci continua très vite :
    â€” Mieux vaut que j’y aille. Reste avec Thalie. Il ne servirait à rien d’imposer cela à nous tous.
    Si sa mère et lui-même s’infligeaient ce pitoyable spectacle, la gamine insisterait pour être de la partie. Elle souffrirait de l’expérience. Quelque chose dans son ton et son maintien en témoignait : à compter de ce moment, Mathieu entendait jouer le rôle confié par Alfred quelques minutes avant de s’embarquer. Il échangea un regard avec sa sœur avant de se diriger vers la porte.
    Marie posa la main sur l’avant-bras de l’employé du Canadien Pacifique pour demander doucement:
    â€” Quand pourrons-nous récupérer son corps?
    â€” … Aussitôt que l’identification sera effectuée.
    â€” À ton retour, poursuivit-elle à l’intention de son fils, nous irons à la cathédrale, puis chez Lépine. Il a hâte de se reposer.
    Malgré tous les jours écoulés, elle n’arrivait pas encore à parler d’Alfred au passé. Le garçon acquiesça d’un signe de tête et se dirigea vers la porte, suivi du visiteur. Après avoir verrouillé dans leur dos, elle revint vers Thalie, dont le corps se trouvait maintenant secoué de sanglots silencieux, pour la serrer contre elle. De longues minutes plus tard, elles arrivèrent à monter jusqu’à l’appartement. Au premier regard, Gertrude comprit.
    * * *
    Chacun des membres de la famille affichait une grande morosité. Pourtant, autour de la table, lors du petit déjeuner, tous avaient convenu de se présenter tout de même au travail. Les clientes elles-mêmes s’adaptaient au climat, s’exprimaient à voix basse, réprimaient les excès de gaieté ou de bonne humeur. L’atmosphère rappelait une veillée funèbre.
    Un peu après dix heures, au tintement de la clochette, Marie leva la tête d’une série de factures à payer pour voir entrer un homme vêtu d’un habit ecclésiastique. Il parcourut la grande pièce d’un regard circulaire, rougit à la vue des atours féminins et fixa le plancher des yeux en s’approchant du comptoir.
    â€” Je voudrais t’offrir mes condoléances…
    La voix, bien que basse, gardait quelque chose des sermons prononcés en chaire pour fustiger le péché. La condamnation du mal lui venait plus naturellement que la tendresse ou la

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