Le prix du sang
compassion.
â ⦠Merci. Viens à lâarrière. Dans ce genre de commerce, ta présence fera fuir la clientèle.
Un peu plus tard, la commerçante refermait la porte de la petite salle de repos. Une table et quelques chaises prenaient toute la place. Elle en désigna une au visiteur et prit bien garde de sâasseoir à une bonne distance, soucieuse dâéviter toute proximité physique.
â Quand jâai vu la nouvelle dans les journaux, au début du mois, jâai pensé venir te voir.
â Mais tu ne lâas pas fait.
â Nos rapports, toutes ces dernières annéesâ¦
â Nous nâen avons pas eus!
Vivant à quelques centaines de verges de distance, jamais lâun ou lâautre ne sâétait donné la peine de se visiter depuis le jour du mariage de Marie, en 1897. Celle-ci continua après une pause :
â Tu étais alors la seule famille qui me restait⦠Pourtant, un étranger, mon patron en fait, mâest venu en aide.
â Il a assumé sa responsabilité. Cette seule bonne action lui vaudra sans doute le paradis, après un séjour au purgatoire.
â Toi et tes grandes certitudes! Quâen sais-tu?
Ãmile Buteau demeura interdit. Ces mots pouvaient sâinterpréter au moins de deux façons. Mettait-elle en doute le salut éternel ou la paternité dâAlfred Picard?
â Il tâa épousée alors que tu étais enceinteâ¦
â Et toi, soucieux de te faire bien voir de ton curé, tu nâas rien tenté pour mâaider. Jâen ai retenu que les bons samaritains ne portaient pas de soutane ni ne passaient leur temps à condamner leurs semblables.
Les années aux côtés du mécréant expliquaient sans doute ces affreuses paroles. Le prêtre se résolut tout de même à réprimer sa tentation de ramener sa sÅur dans le droit chemin. Il déclara plutôt :
â Le commerce semble prospère. Je suppose que tu seras à lâabri du besoin.
â Je le suppose aussi. Je le saurai vraiment après la lecture du testament, dans quelques jours. Si ce nâétait pas le cas, nâaie crainte, je nâirai pas cogner à la porte du majestueux presbytère de la paroisse Saint-Roch. Je lâai fait une fois sans succès, cette expérience me suffit.
Il encaissa la rebuffade et contempla un instant ses mains posées dans son giron, croisées, comme il convenait aux hommes de Dieu en présence dâune femme.
â Voyons, je suis ton frèreâ¦
â Pas vraiment, pas depuis ce jour-là . Plus jeune, jâai pensé que cela tenait à ta soutane. Maintenant, je nâen suis plus certaine. Je pense que câest plus profond, une sécheresse du cÅur. Enfermé dans tes certitudes, tu nâas sans doute plus besoin de personne.
Le prêtre rougit un peu, baissa la tête, puis déclara en la relevant :
â Je suppose que la raison de ma visite ne tâintéresse pas. Lâautre raison, je veux direâ¦
Ãvidemment, il sâattendait à ce quâelle lâinvite à la donner. Marie préféra laisser le silence sâappesantir dans la pièce. à la fin, lâecclésiastique nây tint plus.
â Je me demandais si tu accepterais que je célèbre le service funèbre. Les journaux ont évoqué samedi prochain⦠Le curé de la cathédrale voudra sûrementâ¦
â Câest donc cela? Tu rêves dâofficier dans la basilique Notre-Dame! Tu aspires sans doute à gravir la pente raide qui te sépare de lâarchevêché. Ãtre responsable de lâAction sociale catholique dans tout le diocèse ne te suffit pas. Un titre de monseigneur doit te faire rudement envie pour que tu te manifestes ainsi après toutes ces années!
Lâhomme se redressa sur sa chaise, serra les poings, abandonnant pour un instant la posture de lâecclésiastique modeste et compatissant.
â Tu es injuste. Je suis ton frèreâ¦
â Nâenseignes-tu pas que lâon juge un homme à ses Åuvres? Tout à lâheure, dans le magasin, tu as vu mes deux enfants au travail, sans les reconnaître bien sûr. Câest la seule famille qui me reste aujourdâhui. Je ne sais pas si ton Dieu existe, mais je le remercie tout de même tous les jours pour ce cadeau.
Elle se
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