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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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les estivants, les hommes d’affaires et la faune des politiciens se réunissaient pour des conversations murmurées.
    Ã‰douard entra par la porte donnant sur la terrasse Dufferin, puis gagna le débit de boissons lambrissé de bois sombre. La fumée des cigarettes, des pipes et des cigares accentuait l’impression de pénombre perpétuelle, en plus d’appesantir l’atmosphère. Seules de grandes fougères dans des pots de cuivre témoignaient que la vie demeurait possible dans un pareil environnement.
    Alors que le jeune homme cherchait une table placée dans un coin discret, une voix prononça sur sa gauche :
    â€” Picard, tu me cherches?
    â€” Non, pas vraiment, déclara-t-il en s’approchant pour serrer la main d’Armand Lavergne. Je dois rencontrer un voisin, le fils Dupire.
    Le député nationaliste du comté de Montmagny conservait son allure de jeune homme. Élancé, mince, le visage barré d’une moustache, on aurait pu croire à un professionnel fraîchement sorti de la faculté sans les fils blancs dans sa lourde tignasse.
    â€” Ah oui, le notaire. Tu peux t’asseoir un moment?
    Le jeune homme occupa le siège désigné, de l’autre côté d’une petite table ronde.
    â€” Cela ne te dirait rien de joindre la milice? Cela devient intéressant.
    Le député à l’Assemblée législative comptait parmi les quelques milliers de Canadiens occupant leurs loisirs à jouer au soldat avec un uniforme d’opérette sur le dos. Dans son cas, comme dans celui de tous les notables, le jeu se limitait à vider des whiskies au Club de la garnison, un cigare gros comme une matraque de policier vissé dans la bouche.
    â€” Milicien, alors que le pays se trouve en guerre? Jamais, déclara Édouard en s’esclaffant.
    â€” C’est le meilleur point de vue pour se tenir au courant des rumeurs. Des militaires de tout le pays envahissent notre petite ville.
    â€” D’un autre côté, on ne les voit presque pas. Ils débarquent au quai ou à la gare, puis se dirigent tout droit vers le camp de Valcartier.
    Depuis deux mois, le village, situé au nord de Québec, voyait sa population décupler. Des tentes s’alignaient sur plusieurs hectares. Avant la venue des grands froids, des centaines d’ouvriers tenteraient d’ériger des baraques sommaires. Huit semaines de guerre redonnaient du travail à tous les habitants de la région.
    â€” Tu sais donc combien de courageux volontaires campent à l’orée de nos forêts? questionna le jeune homme.
    â€” Je parierais quarante mille.
    â€” Près de la moitié de la population totale de Québec?
    â€” Pour l’instant. Dans tout au plus deux semaines, les trois quarts d’entre eux s’embarqueront vers l’Angleterre, puis, après un entraînement supplémentaire, ils se dirigeront vers les champs de bataille du nord-est de la France.
    Un serveur vint interrompre Lavergne, qui commanda un autre verre. Édouard préféra attendre l’arrivée de son vieil ami.
    â€” Cela ne devrait plus durer longtemps, maintenant, commenta ce dernier.
    â€” Tu veux dire, la guerre? demanda le politicien après un éclat de rire. Tu devrais vraiment rejoindre la milice afin d’oublier les sottises publiées dans les journaux. Les deux armées se trouvent face à face et aucune ne semble pouvoir emporter la décision. Les soldats ont commencé à creuser des trous dans le sol, comme des marmottes. Personne ne sait combien de temps ils s’y terreront.
    â€” Si cela doit s’éterniser, raison de plus pour me tenir loin des uniformes.
    Ã‰douard remarqua un jeune homme un peu corpulent à l’entrée du bar et fit un signe de la main afin d’attirer son attention. Fernand Dupire s’approcha, serra la main de Lavergne alors que son compagnon se levait de son siège.
    â€” Je m’excuse, nous avons à parler, précisa-t-il au politicien.
    â€” Bien sûr. Si tu veux que je continue ton éducation militaire, passe ici quand tu voudras. C’est mon bureau.
    â€” Tu habites encore ici, avec ta femme?
    â€” Pourquoi se priver?
    Au moment de s’asseoir à une table située à l’autre bout de la grande pièce, le jeune homme expliquait :
    â€” Armand me disait que la guerre sera

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