Le prix du sang
et un chapeau à large rebord assortis. Une voilette laissait ses yeux dans lâombre. à ses côtés, Fernand se tenait bien droit, sanglé dans un costume noir, une pointe dâinquiétude qui pouvait passer pour de la solennité sur le visage.
De part et dâautre de lâallée centrale, dans les premiers bancs, se tenaient les familles des heureux promis. Les spectateurs, peu nombreux, sâéparpillaient dans la grande bâtisse. Outre des curieuses meublant le vide de leur vie en assistant à toutes les cérémonies religieuses, des relations dâaffaires du vieux notaire et du commerçant au détail avaient jugé utile de souligner leur déférence par leur présence en ce jour heureux.
Au moment où les mariés échangeaient les anneaux, Ãdouard se pencha sur lâoreille gauche de sa belle-mère pour murmurer :
â Somme toute, les funérailles de lâoncle Alfred paraissaient plus gaies.
â Ne dis pas une chose si cruelle, rétorqua-t-elle, les yeux sévères.
Pourtant, Ãlisabeth partageait le même malaise. Les époux présentaient des visages impassibles, sauf quand leurs yeux se croisaient. Alors, les sourires contraints sur leurs lèvres révélaient beaucoup dâangoisse et bien peu de joie.
Quand les pères se furent penchés chacun leur tour pour signer les registres paroissiaux, le nouveau couple marcha du chÅur jusquâaux grandes portes sâouvrant sur le parvis. Un photographe se tenait juste au bas des marches. Les deux familles réunies regroupaient tout juste sept personnes. Lâhomme dut rapprocher son appareil pour amoindrir lâeffet de désertion avant de prendre quelques clichés.
â Nous faisons comme convenu? demanda Thomas au notaire Dupire.
â Pourquoi changer nos plans?
Ãdouard sâagitait déjà devant la Buick afin de faire démarrer le moteur. Fernand ouvrit la portière arrière et tendit le bras afin dâaider Eugénie à monter. Juste derrière le véhicule, deux voitures taxi attendaient les parents. Le commerçant ouvrit la portière du premier en sâinclinant. Le notaire aida sa femme à se glisser sur la banquette, une opération difficile à cause de sa corpulence. Thomas gagna la seconde voiture de louage, laissa sa femme sâasseoir puis la rejoignit.
â Jâai le pressentiment que nous commettons une erreur, fit doucement Ãlisabeth, inquiète dâêtre entendue par le chauffeur.
â Tous les deux sont dâaccord, personne ne les force. Voilà la meilleure conclusion à une triste histoire.
â Nous aurions dû exiger que les cartes soient mises sur table. Ce garçon a été trompé.
Depuis trois semaines, elle présentait les mêmes arguments et son époux poussait les mêmes soupirs un peu excédés. Après tout, le jeune notaire finissait par obtenir celle quâil voulait. Dans ce contexte, à quoi servait une confession générale? Chacun vivait avec sa part dâombre, jeter dessus une lumière crue engendrerait des souffrances inutiles.
* * *
La clientèle du commerce ALFRED se révélait bien peu nombreuse. Cela tenait à lâagitation régnant dans les rues de la ville. Mathieu se montrait tout de même un peu hésitant.
â Maman, es-tu certaine de pouvoir rester seule?
â Tu ne te souviens pas? Nous embauchons deux vendeuses.
â Mais le samedi, nous sommes là .
Marie sâapprocha du garçon, caressa sa joue du bout des doigts.
â Tu passes du Petit Séminaire au commerce, du commerce au Petit Séminaire. Ta sÅur ne se trouve pas mieux lotie, continua-t-elle en englobant lâadolescente dans son regard. Allez prendre un peu lâair, cela vous fera du bien, jâen suis certaine.
Le frère et la sÅur quittèrent les lieux sans se retourner. Tout de suite, ils remarquèrent le petit rassemblement prêt à se disperser sur le parvis de la basilique.
â Le mariage de notre cousine nâattire pas les foules, constata Thalie.
« Tu veux dire ta cousine et ma demi-sÅur », songea Mathieu. Un jour, il clarifierait la situation avec elle. à quel âge une jeune fille pouvait-elle comprendre certains avatars de lâexistence humaine?
â Câest une vieille fille qui épouse un ami dâenfance. Cela
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