Le prix du secret
dans Hoekstraat, au bord de l’eau. Wilkins et ses gibiers de potence rôdaient dans une barque à notre arrivée, pour voir dans quel bâtiment nous entrerions. Par bonheur, ils se tenaient un peu en retrait et n’ont pas remarqué que nous emportions le faux trésor à l’intérieur. Nous avons eu de la chance, dame Blanchard !
— Je ne savais rien de votre faux trésor. Vous avez bien gardé le secret, dit-elle avec mécontentement.
— Permettez que je comprenne mieux, intervint Blanchard, bouillant de plus en plus. Ma pupille – ma propre nièce – a tenté d’empêcher ma belle-fille d’accomplir son œuvre de miséricorde ? Ursula, quoi qu’il soit arrivé entre nous dans le passé, malgré les ordres que j’ai exécutés en France – fort à contrecœur, je vous assure –, je respecte votre loyauté envers votre femme de chambre. Que cette fille – cette gamine ! – s’efforce d’anéantir vos efforts, je ne puis le concevoir. Dites-moi que je rêve !
— Non, beau-père, vous ne rêvez pas. Et Dale se morfond dans une geôle parce que Wilkins a su convaincre Clairpont de porter une fausse accusation. Ce gentilhomme sait qu’elle est infondée, sans quoi il nous aurait aussi fait arrêter, Brockley et moi, voire vous-même, messire Blanchard…
— Le Dr Wilkins lui a promis qu’il persuaderait l’abbesse d’offrir certains des ornements sacerdotaux en or à la cause catholique, expliqua Hélène. Ils ont beaucoup de valeur.
« Et Clairpont vendrait sa propre mère, à plus forte raison une femme de chambre hérétique, afin de soutenir cette cause », pensai-je, pleine de rage. Certes, l’argent avait une voix éloquente.
— Dale n’a aucune chance d’obtenir un procès équitable, et d’être innocentée. Seule la rançon peut la sauver. Si nous échouons, elle mourra dans d’horribles souffrances. Vous connaissez Dale, Hélène. Pourtant, vous êtes prête à détruire son seul espoir de salut !
— Fran Dale est une hérétique. Et vous aussi, madame. Cela signifie que vos âmes sont damnées. Seul le feu terrestre peut les sauver. De surcroît, vous êtes doublement vouée à la damnation car vous avez trahi votre époux, refusé de renoncer à vos voies impies…
— Petite peste arrogante ! criai-je. Comment osez-vous nous sermonner ? Comment osez-vous regretter que Dale, qui n’a jamais fait de mal à personne, échappe au supplice ? Avez-vous la moindre idée de ce qui l’attend ? L’avez-vous vu ? Savez-vous vraiment ?
— Le Dr Wilkins dit que les souffrances du bûcher valent mieux que celles des flammes éternelles.
— Je suis las qu’elle nous rebatte les oreilles avec son Dr Wilkins, remarqua Blanchard.
— Moi aussi, acquiesçai-je. Mais Hélène va maintenant écouter un autre son de cloche. Avec votre permission, messire Jenkinson, j’ai l’intention de lui exposer la réalité.
— Faites donc, je vous en prie. Ce n’est pas moi qui contrôle la situation ici, même si j’ai donné cette impression. Poursuivez, dame Blanchard.
Oncle Herbert et tante Tabitha étaient restés fidèles à l’ancienne foi. Ma mère, qui s’était éteinte quand j’avais seize ans, avait préféré la doctrine de Luther et me l’avait enseignée. J’avais vingt ans quand la reine Marie Tudor, sœur aînée d’Élisabeth, avait entrepris sa campagne contre les hérétiques. Ma tante et mon oncle avaient assisté à l’une des premières exécutions sur le bûcher, celle-là même qu’ils m’avaient décrite par le menu, me forçant à écouter.
Jamais, jamais je n’oublierais. Mon oncle s’était adossé contre la porte pour m’empêcher de m’enfuir, ma tante m’avait maintenu les poignets pour ne pas que je me bouche les oreilles. À tour de rôle, ils m’avaient relaté ce qu’ils avaient vu. Le pire avait été l’expression de plaisir sur leur visage. Elle me dégoûtait, bien que je fusse alors trop jeune pour la définir. Plus tard, me rappelant ces yeux brillants, ces bouches avides, je la reconnus pour ce qu’elle était : de la jouissance.
Jamais je n’aurais pensé répéter un jour leurs propos, surtout à une très jeune fille. Cependant, au profit d’Hélène, je rapportai chaque détail ignoble et quand, les lèvres tremblantes, elle voulut se boucher les oreilles, à mon tour je lui saisis les poignets afin de la contraindre à tout entendre.
Elle se débattit et tenta de noyer mes paroles sous
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