Le prix du secret
l’endroit que nous cherchions ? Ou encore que l’espace sous le plancher n’eût pas été assez grand pour les deux salières ?
Au début, Gerald avait pensé les cacher dans de simples caisses, par terre, entourées d’autres semblables, vides ou au contenu insignifiant. Il avait finalement décidé que ce ne serait pas assez sûr, surtout si elles devaient rester là quelque temps. Mais il avait peut-être été contraint de revenir à son idée première car elles ne rentraient pas. En deux ans, tout avait pu arriver. Même si personne n’avait repris le bail, les édifices abandonnés attiraient l’attention, tôt ou tard. Le trésor pouvait s’être envolé depuis longtemps.
« Ô Dieu, priai-je avec ferveur, faites que je reconnaisse l’entrepôt dès que je le verrai et que le trésor y soit encore. Par pitié ! »
En d’autres circonstances, j’aurais apprécié cette promenade sur l’eau, bien qu’avec nostalgie. Le soleil d’avril étincelait sur les flots. Anvers, active et animée, restait fidèle à mes souvenirs. Des vaisseaux transportaient des cargaisons, entraient ou sortaient des bassins de radoub : navires de commerce des Pays-Bas ou d’une demi-douzaine d’autres contrées, et des nuées de petites embarcations, barques ou bacs transportant la population sur le fleuve et les canaux. Sur l’Escaut, un galion aux mâts vertigineux était halé à contre-courant.
Tous les bruits et les odeurs m’étaient familiers : l’âcre relent de l’eau, les cris des mouettes qui suivaient les bateaux en quête de nourriture, les parfums d’épices et de cuir provenant des entrepôts, le clapotis des vagues dans le sillage des navires, les cris des manœuvres actionnant les treuils. Une forte odeur de fromage me rappela Le Pinson.
Mais j’étais là pour une affaire sérieuse. Longman avait bien choisi notre logis et nous fûmes vite dans le canal qui, d’après la carte, longeait Hoekstraat. Je scrutais les alentours. Des quais, des appontements où parfois une barque était amarrée, des entrepôts, se jouxtant pour la plupart, mais séparés à l’occasion par des allées. Les bâtiments comptaient en général deux ou trois étages, avec des rangées d’étroites fenêtres. Ils étaient terriblement identiques, constatai-je avec effroi. À ce moment précis, Jenkinson observa d’un ton plein d’entrain qu’il ne nous restait plus qu’à trouver le bon, car il eût été malséant d’en cambrioler un autre. Je le fixai sans répondre, et il comprit rien qu’à mon expression.
— Tout va bien. Accordez-vous une chance raisonnable ! Réfléchissez. Vous rappelez-vous un repère, un signe distinctif ?
— Non. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer ! Nous allons du bon côté, assurai-je, tâchant de recouvrer mon sang-froid. Nous n’y sommes pas encore. C’est sur la rive droite, mais…
— Vous avez dit qu’il y a un appontement. En bois ou en pierre ?
— En bois. Et… Oui, des doubles portes peintes en bleu, quoique cela ait pu changer.
Je me concentrai encore et, à mon grand soulagement, d’autres détails me revinrent.
— Juste au-delà de notre entrepôt, il y en avait un plus grand, avec une jetée de pierre et des marches envahies par la mousse. Vertes et glissantes. Quand Gerald m’a amenée là, on déchargeait un navire. Un portefaix en est tombé avec la caisse qu’il tenait sur sa tête. Un homme, en haut des marches, jurait comme un charretier, et criait aux marins du bateau de repêcher la caisse avant qu’elle ne coule sans s’occuper de l’imbécile qui avait glissé. S’il ne savait pas nager, il n’avait qu’à se noyer. Cela m’avait beaucoup marquée.
— Le portefaix s’est-il noyé ? demanda Jenkinson avec intérêt.
— Non. Il a réussi à atteindre les marches et il est remonté en jurant encore plus fort que l’autre.
Jenkinson éclata de rire.
— Nous devrions être à même de trouver ! Au fait, ne seraient-ce pas les portes bleues, droit devant ?
— Oui ! Je vois l’appontement de bois, et la jetée de pierre juste après !
Animée, je me levai à demi et Jenkinson m’ordonna de m’asseoir avant que je nous fasse chavirer.
— Nous allons continuer un peu et bien regarder. Surtout, conservez votre calme.
Lentement, nous glissâmes devant les portes. Je reconnus aussitôt la peinture bleue fanée et la pierre un peu jaune des murs. Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient
Weitere Kostenlose Bücher