Le retour
en rechignant d'étendre les vêtements mouillés
sur la corde à linge le samedi matin pendant qu'elle allait faire les achats.
- Cybole! Veux-tu
me faire passer pour une tapette?
s'était-il écrié
quand elle lui avait mis le panier de vêtements mouillés dans les bras. Tout le
monde qui va me voir étendre va se demander si je suis pas devenu fifi.
- Laisse faire le
monde, s'était emportée sa femme.
J'aime mieux que
le monde te prenne pour un fifi que pour un sans-coeur, avait-elle ajouté,
perfide, avant de quitter la maison.
Par ailleurs,
Laurette savait que son mari allait rendre visite à sa soeur Colombe et à sa
mère au moins une fois par semaine. Ce jour-là, il se rendait au garage de
Rosaire Nadeau vers la fin de l'avant-midi, discutait avec son beau-
frère durant
quelques minutes, attendant d'être invité à dîner chez lui, dans sa chic maison
du boulevard Rosemont.
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- Ça te gêne pas
d'aller quêter un repas à ta soeur toutes les semaines? avait-elle demandé,
mécontente, à son mari.
- Voyons,
Laurette! Colombe sait ben que je vais pas là pour manger. Je vais là pour la
voir, elle et m'man. Si je faisais pas ça, je les verrais jamais.
- J'espère que tu
dis pas ça parce que je les invite pas.
Avec tout
l'ouvrage que j'ai à faire, j'ai pas le temps pantoute de recevoir du monde. Au
cas où t'aurais oublié, Gérard Morin, je travaille dans la semaine, et la fin
de semaine, je cours comme une folle pour faire tout ce que j'ai pas eu le
temps de faire pendant la semaine.
Au fond, cela
convenait parfaitement à son mari d'aller traîner au garage de son beau-frère,
de se faire transporter dans sa nouvelle Cadillac noire et de se faire gâter
par sa soeur et sa mère. D'ailleurs, Lucille Morin et les Nadeau demandaient
rarement des nouvelles de Laurette et des enfants. Ils en obtenaient probablement
par Richard qui travaillait chaque samedi au garage de son oncle.
Si Gérard ne se
formalisait pas de cette espèce d'indifférence des siens envers sa femme et ses
enfants, il en allait tout autrement de sa femme.
- Je suppose que
ta mère et ta soeur t'ont demandé de mes nouvelles? demandait Laurette chaque
fois que son mari lui apprenait avoir rendu visite à sa mère et à sa soeur.
- C'est sûr. Je
leur ai dit que t'allais numéro un, mentait Gérard, pas trop convaincant.
- Ben oui, mon
Gérard, je suis sûre de ça, faisait alors Laurette, narquoise. Prends-moi donc
pas pour une valise!
Si ça se trouve,
je les intéresse moins que la femme de ménage que Rosaire leur paye pour
qu'elles puissent jouer aux grosses madames. Quant à moi, tu peux ben continuer
à aller les voir aussi souvent que tu voudras, avait-elle
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ajouté. Si ça
peut m'éviter de les voir ici dedans, je m'en plaindrai pas. Salir leur beau
Linge chez les pauvres de la famille doit pas les tenter ben gros.
Son mari s'était
contenté alors de se plonger dans la lecture de La Presse qui ne le quittait
guère quand il était à la maison.
Par ailleurs, les
amours de Denise se déroulaient sans heurts depuis la mi-juin. Depuis leur
première sortie au cinéma, Pierre Crevier s'était montré un amoureux fidèle et
attentionné. Plusieurs fois par semaine, il allait attendre la jeune fille à sa
sortie du Woolwoth pour la raccompagner chez elle. Il la laissait sagement sur
le pas de la porte après avoir salué son père, souvent en train de discuter
avec un voisin.
Gérard semblait
avoir fini par accepter l'amoureux de sa fille. Il était si poli et si discret
qu'il ne trouvait vraiment rien à lui reprocher... mis à part sa stature
impressionnante.
- C'est pas un
homme, ça, avait-il dit à Laurette, c'est un vrai cheval.
- Peut-être,
avait-elle admis, mais avec un gars comme ça, une femme se sent protégée.
Peu à peu,
Laurette et Gérard s'habituèrent à le voir arriver après le souper, le samedi
soir, pour veiller sur le balcon arrière avec Denise quand ils ne sortaient pas
pour aller au cinéma. Lorsqu'il ne faisait pas trop chaud, Pierre Crevier était
invité à jouer aux cartes avec les parents de la jeune fille. Son caractère
égal et son sens de l'humour avaient conquis aussi bien Laurette que sa fille
aînée.
Il fallait
admettre que le débardeur faisait des efforts méritoires pour être bien
considéré par tous les membres
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de la famille. Il
avait offert un flacon de parfum
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