Le retour
stériles et ces derniers, à la vue de son
air abattu, ne lui posèrent aucune question.
- Je vais
demander à la compagnie s'ils ont besoin de quelqu'un, dit Richard à sa mère en
profitant de ce que son père était parti chez Paré chercher du tabac. On sait
jamais.
- Je vais faire
la même chose chez Viau, fit Laurette.
Mais les deux
compagnies n'avaient pas d'emploi à offrir et, jour après jour, le père de
famille dut essuyer les mêmes rebuffades. Si certains employeurs se
contentaient de lui répondre qu'ils n'avaient rien à lui offrir pour le moment,
d'autres ne se gênaient pas pour lui faire comprendre qu'il était trop âgé pour
le genre de travail disponible.
- Cybole!
s'exclamait Gérard, à bout de patience.
Je suis tout de
même pas un petit vieux. J'ai juste quarante-
six ans.
Mais rien n'y
faisait et son humeur s'en ressentait grandement. A la maison, il était devenu
si morose et renfermé que sa femme finit par perdre patience au début de la
troisième semaine de septembre.
- Aïe! Ça va
faire, Gérard Morin, s'exclama-t-elle.
Maudit verrat!
Pris entre toi et la face de carême de ta fille, on a l'impression de veiller
un mort.
Denise et son
père se regardèrent, mais ne dirent pas un mot.
- Elle, elle est
tout à l'envers parce que son Pierre est pas encore revenu de chez son père et
toi, t'as l'air bête
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parce que tu
trouves rien. Bonyeu! Prends sur toi î Tu vas ben finir par en trouver de
l'ouvrage. On a encore de quoi manger trois repas par jour et on a un toit sur
la tête. On n'en est pas encore à aller demander un panier de manger à la
Saint-Vincent-de-Paul.
- Ben oui, ben
oui, se contenta de répondre Gérard.
Toi, t'as une
job, tu peux pas comprendre.
- Je vais te la
donner n'importe quand, ma job, si tu la veux, fit sa femme avant de quitter la
cuisine.
Mais cette saute
d'humeur de Laurette se révéla mutile.
Le climat de la
maison ne s'en trouva nullement amélioré.
Son mari continua
à déprimer et Denise, profondément inquiète de l'absence prolongée de son
amoureux, était de plus en plus triste. La jeune fille avait même songé à aller
sonner chez l'oncle où Pierre demeurait, rue De Montigny, pour avoir de ses
nouvelles. Seule la crainte d'être ridicule l'en avait empêchée jusqu'à
présent.
Cependant, une
surprise attendait Gérard le jeudi matin de la troisième semaine de septembre.
Ce matin-là, un
tramway l'avait déposé sur la rue Notre-Dame, à l'est de la rue Viau et il
avait entrepris de faire la tournée des compagnies établies dans le secteur.
Au milieu de
l'avant-midi, il était entré, sans grand espoir, dans les bureaux de la
compagnie Elroy, située rue Sicard, un peu au sud de la rue Hochelaga.
L'endroit ne payait pas de mine et un bruit assourdissant de machines
envahissait la pièce chaque fois qu'un employé ouvrait la porte de
communication entre l'usine et le bureau.
Une
réceptionniste l'accueillit et le pria de s'asseoir avant de décrocher le
téléphone posé sur son bureau. Elle parla à voix basse un bref moment dans
l'appareil avant de l'inviter à aller frapper à la seconde des trois portes qui
s'ouvraient à sa gauche.
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Un petit homme à
l'épaisse moustache grise vint ouvrir à Gérard. Il le fit entrer et le pria de
s'asseoir face au vieux meuble qui lui servait de bureau. Une plaquette
indiquait qu'il s'appelait Henri Boileau et qu'il s'agissait du directeur du
personnel. Quand Gérard le vit sortir un formulaire de l'un des tiroirs du
meuble, il poussa un soupir résigné.
Encore une
demande inutile. On allait prendre ses coordonnées et lui dire qu'on
l'appellerait en cas de besoin.
Lorsque le
formulaire fut rempli, Henri Boileau déposa son crayon et lui demanda:
- Est-ce qu'une
job de veilleur de nuit ferait votre affaire, monsieur Morin.
- Ben oui,
s'empressa de répondre Gérard, dont le coeur avait eu un raté.
- On peut dire
que vous tombez bien. Notre gardien de nuit nous a lâchés ce matin. Et c'est
pas parce qu'on le traitait pas bien. Il a travaillé chez nous pendant quatorze
ans. Non. Il veut s'en retourner en Gaspésie d'où il vient.
Vous êtes le
genre d'homme qu'on veut pour cette job- à, affirma le directeur du personnel.
Vous êtes un homme mûr, un père de famille, et d'après ce que vous m'avez dit,
vous êtes pas du genre à lâcher votre ouvrage pour un
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