Le retour
Laurette Morin.
Richard avait bu
pour se donner du courage. Après avoir ingurgité quelques bouteilles de bière
et deux verres de gin, il avait invité à danser cette rousse incendiaire à
l'air passablement déluré à de nombreuses reprises.
À onze heures
trente, même s'il était un peu ivre, il avait été tout de même assez lucide
pour prendre congé de son hôte et se diriger vers l'église. Le baiser que lui
avait donné Ginette au moment du départ lui avait fait tourner
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encore plus la
tête. Pendant un bref moment, il avait même été bien prêt de renoncer à la
messe et au réveillon familial pour demeurer chez Beaudet, mais la crainte de
la réaction prévisible de sa mère l'en avait dissuadé.
Marcher sous la
pluie l'avait aidé à reprendre un peu pied dans la réalité, mais, depuis
quelques minutes, la température avait chuté et la pluie s'était transformée en
verglas, rendant malaisés les déplacements à l'extérieur.
L'adolescent
était dehors depuis une dizaine de minutes et il avait maintenant froid aux
oreilles et aux mains.
Soudain, son
estomac refusa définitivement toute collaboration.
Il eut juste le
temps de se pencher au-dessus du garde-fou avant de vomir.
Il venait à peine
de s'essuyer la bouche avec son mouchoir quand la porte de l'église s'ouvrit
sur le bedeau de la paroisse, vêtu d'un veston et portant une statue en plâtre
de près de deux pieds de longueur.
- Dis donc, le
jeune, l'apostropha le vieil homme en l'apercevant, irais-tu placer cette
statue-là dans la crèche?
Je suis pas
habillé pantoute pour me promener dehors. J'ai pas envie d'avoir la grippe.
- Certain,
accepta Richard en réprimant un haut-
le coeur.
- Fais-y ben
attention. C'est le petit Jésus, précisa le bedeau en lui tendant la statue.
La porte de
l'église se referma et Richard, les bras encombrés par la statue, entreprit de
descendre la douzaine de marches qui conduisaient au trottoir. C'était compter
sans le verglas. La pluie tombée toute la soirée s'était transformée peu à peu
en une mince couche de glace qui faisait maintenant briller tout le paysage.
Dès qu'il posa le
pied sur là première marche, Richard se sentit partir. Dans un geste
instinctif, il lâcha la statue
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pour essayer de
se rattraper au garde-fou. Cette tentative fut vaine.
- Maudit
calvaire! jura-t-il en dévalant l'escalier sur le dos.
L'adolescent se
reçut durement sur les fesses au bas des marches. Sa première réaction fut de
regarder autour de lui pour voir si sa chute avait eu des témoins. Il ne vit
personne. Il se releva avec précaution en maintenant difficilement son
équilibre sur le trottoir verglacé. Cette chute eut au moins l'avantage de
chasser la plus grande partie des vapeurs d'alcool qui lui embrumaient le
cerveau. Il se mit aussitôt à la recherche de la statue qu'il retrouva sur le
bord du trottoir. Il la ramassa et s'aperçut, à la lumière du lampadaire, que
la tête et un bras avaient disparu durant la chute.
Toujours en
équilibre précaire sur la mince couche de glace, il se mit à la recherche des
morceaux manquants. Il n'eut pas à chercher très loin. La tête avait roulé
trois ou quatre pieds plus loin alors que le bras gauche était demeuré sur
l'avant-dernière marche. Richard, catastrophé, ne savait pas trop quoi faire
avec les restes de la statue.
- Ça m'apprendra
à me mêler de mes maudites affaires! dit-il à mi-voix en se dirigeant avec
mille précautions vers la crèche extérieure installée à une trentaine de pieds
sur sa gauche.
Il enjamba la
petite clôture de fer forgée, cassant ainsi la mince couche de glace qui
recouvrait la neige du parterre.
Il déposa la
statue sur la litière de paille qui l'attendait depuis trois semaines. Il
disposa la tête à l'extrémité du cou le mieux possible. Pour le bras cassé,
c'était toutefois une autre affaire. Il s'agissait du bras qui, normalement,
devait être dressé. Après avoir tenté diverses manoeuvres pour le faire tenir
en place, l'adolescent renonça. Poussé par la crainte d'être vu par un passant,
il se résolut à planter le
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bras dans la
paille, ce qui le faisait étrangement ressembler à un moignon en plâtre.
- Ça paraît
presque pas à la noirceur, se dit-il en s'empressant d'enjamber la clôture.
Demain, ils vont penser que c'est des bums qui l'ont cassé.
Au moment de
rentrer dans
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