Le retour
détourna la
tête. Elle passa à côté du jeune homme en feignant de ne pas le reconnaître.
Quelques minutes
plus tard, le hasard voulut qu'elle se retrouve au rayon des articles de maison
après être allée admirer les magnifiques téléviseurs vendus dans de luxueux
meubles en noyer, en chêne et en érable. Évidemment, elle sentit le besoin de
s'arrêter longuement devant les nombreux ensembles de vaisselle vendus en magasin.
À ses yeux, aucun n'était comparable à ce que proposait la compagnie Styleware.
Laurette jeta un
coup d'oeil à sa montre. Il était plus de deux heures. Elle quitta Dupuis
frères, bien décidée à rentrer directement chez elle. Pendant un moment, elle se
demanda si elle devait prendre le tramway au coin de la
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rue ou marcher
encore un peu pour profiter de cette belle journée de printemps. La pensée que
sa belle-mère l'attendait à la maison l'incita à opter pour la marche.
- Je prendrai le
p'tit char à Papineau, se dit-elle. Je suis pas si pressée que ça.
Si elle avait été
raisonnable, elle aurait marché sur le côté sud de la rue de manière à ne pas
passer devant chez Greenberg. Ainsi, elle aurait échappé à la tentation de
revoir l'ensemble de vaisselle qui l'avait conquise. Elle n'en fît rien.
Lorsqu'elle se retrouva devant le magasin, une force obscure la poussa à y
entrer et elle se retrouva, sans trop savoir comment, devant le vendeur qui
avait tant vanté son produit le matin même.
- Oui, ma petite
dame, qu'est-ce que je peux faire pour vous? lui demanda-t-il, tout souriant.
- Rien, dit
Laurette en affichant un air rébarbatif. Je veux juste regarder.
- C'est mon
dernier set, madame. J'ai vendu tous les autres. Ils sont partis comme des
petits pains chauds. C'est le dernier que je peux vendre moins de trente
piastres. A partir de lundi matin, son prix va être de trente-neuf et
quatre-vingt-dix-neuf.
"Vingt-neuf
piastres", songea Laurette. Elle avait quarante-deux dollars dans sa bourse.
Cet argent-là était tout ce qui lui restait pour faire sa semaine et payer le
loyer. Si elle se laissait tenter, il lui manquerait de l'argent pour le loyer.
A moins qu'elle en emprunte à Richard...
- Si je l'achète,
finit-elle par dire, est-ce que vous me le livrez? Moi, je suis en p'tit char,
et c'est ben trop pesant pour moi.
- Ordinairement,
je livre pas, madame.
- Dans ce cas-là,
je vais laisser faire, dit Laurette, tournant déjà les talons, soulagée au fond
de ne pas avoir succombé à la tentation.
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- Attendez,
madame. Où est-ce que vous restez?
- Sur la rue
Emmett, proche de Fullum.
- Parce que c'est
mon dernier, je vais faire un spécial pour vous. Je vais aller vous le porter.
Je finis dans une heure.
Coincée par cette
proposition, Laurette décida d'acheter l'ensemble. Elle tira l'argent de son
porte-monnaie et le tendit au vendeur qui lui promit de lui laisser son achat
vers trois heures et demie.
À sa sortie du
magasin, Laurette s'empressa de monter dans le premier tramway qui s'arrêta au
coin de la rue.
Durant le court
trajet qui la ramenait à la maison, elle ne cessa de se traiter de tous les
noms pour s'être laissée tenter.
- Maudite
nounoune! jura-t-elle en s'arrêtant devant sa porte. Je vais avoir l'air fine avec
de la belle vaisselle, mais pas d'argent pour mettre quelque chose dedans. Dire
que j'avais même pas dix piastres à donner à Gérard dimanche passé! S'il était
là, il me dirait un paquet de bêtises.
Bref, elle rentra
chez elle un peu après trois heures, toute sa bonne humeur du matin envolée.
Aucun des garçons n'était encore rentré du travail. Quand elle aperçut sa
belle-mère, son humeur s'assombrit encore plus. Elle avait vaguement espéré que
Rosaire Nadeau et sa femme seraient passés la chercher durant son absence. La
vieille dame était en train de tricoter, assise sur le balcon arrière pour
profiter des quelques rayons de soleil qui parvenaient difficilement à se
rendre là, malgré le hangar et l'escalier qui menait chez les Gravel. Sans
faire de bruit, elle s'empressa d'aller changer de vêtements avant de lui
signaler qu'elle était de retour.
- Votre fille est
chez son amie, à côté, fit Lucille Morin en rentrant dans la maison. Je lui ai
demandé de
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placer la
poubelle proche du hangar. Ça sentait trop
mauvais sur le
balcon.
- C'est correct,
madame Morin, répondit Laurette.
On
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