Le retour
volant.
Laurette hésita
encore un bref moment. La dernière fois où elle était montée à bord d'un taxi,
c'était quand sa mère était décédée, plusieurs années auparavant.
- Montez, madame
Morin. Faites-vous pas prier, dit la voisine en se glissant sur la banquette
arrière.
- Vous êtes ben
fins de m'amener, dit Laurette en prenant place à côté d'Emma.
- C'est rien,
voyons donc! protesta Emma Gravel.
- Je vous dis que
ça va faire drôle de plus vous avoir en haut, reprit Laurette en fermant la
portière.
- Vous allez
avoir du nouveau monde, madame Morin.
Je suis sûre que
vous allez ben vous entendre avec les Beaulieu.
- Les Beaulieu?
- C'est la
famille qui s'en vient rester dans notre logement. Monsieur Tremblay les a
amenés visiter cette semaine et ils ont signé leur bail, expliqua la voisine.
Ils sont supposés entrer lundi après-midi.
- Ils viennent
d'où, ces gens-là? demanda Laurette d'une voix un peu inquiète.
- La femme m'a
dit qu'ils restaient sur Poupart, proche du Palais des sports.
- J'espère au
moins qu'ils ont pas trop d'enfants?
- Inquiétez-vous
pas pour ça. Il paraît qu'ils ont juste un grand garçon qui reste avec eux
autres. Ils ont aussi une fille, mais elle est mariée.
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Laurette poussa
un soupir de soulagement en apprenant la nouvelle. Elle avait surtout craint
d'avoir à supporter une famille nombreuse vivant au-dessus de chez elle.
Pendant cette
conversation, la voiture avait démarré, fait un virage en U au coin d'Emmett et
tourné sur Fullum en direction nord jusqu'à la rue Sainte-Catherine où elle
avait bifurqué vers l'ouest.
Laurette
commençait à peine à s'habituer au luxe inhabituel d'une voiture quand cette
dernière s'arrêta doucement le long du trottoir, au coin de la rue Montcalm.
- C'est pas ben
loin, lui dit le conducteur en se tournant vers elle, mais ça vous fera
toujours ça de moins à faire en p'tit char.
- Merci beaucoup.
Je pense que ça vaut même plus la peine que j'en prenne un, dit-elle en
s'extirpant avec difficulté de la voiture dont elle venait d'ouvrir la
portière.
Laurette referma
la portière après avoir salué ses voisins et jeta un coup d'oeil autour d'elle
pour s'assurer que quelques passants avaient bien remarqué son arrivée en taxi.
Elle vérifia du bout des doigts si son chapeau était toujours bien en place et
redressa les épaules, jouant à la femme qui avait largement les moyens de
s'offrir une voiture-taxi.
Après un moment
d'hésitation, elle décida d'arpenter le côté nord de la rue Sainte-Catherine en
se promettant de s'arrêter dans ses magasins favoris.
- J'irai pas plus
loin que Dupuis frères, dit-elle à mi-
voix. Il faut
tout de même pas que j'ambitionne sur le pain béni. Ça ferait drôle que je sois
pas là si Colombe et Rosaire viennent chercher la vieille pendant que je fais
des commissions.
Laurette
fréquentait depuis tant d'années les magasins de la rue Sainte-Catherine
qu'elle avait l'impression de connaître personnellement plusieurs vendeuses qui
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travaillaient
dans les boutiques et magasins de cette rue commerciale. Elle savait d'avance
où on la laisserait palper les étoffes à son aise et où une vendeuse
s'empresserait de l'intercepter avant qu'elle ne sème le désordre dans la
lingerie exposée.
Même si elle ne
détestait pas les petites boutiques, il n'en demeurait pas moins que ses
magasins préférés étaient les plus grands, comme Dupuis, Eaton et Simpson's.
Elle adorait aller d'un département à l'autre pour admirer les nouveautés et
comparer les prix. Elle avait beau ne pratiquement jamais rien acheter, elle se
faisait un point d'honneur d'être renseignée.
Ce samedi-là,
elle devrait se contenter de Dupuis frères comme magasin de grande surface par
manque de temps.
C'était le
sacrifice à consentir si elle désirait revenir tôt à la maison.
Elle commença par
entrer dans deux boutiques de vêtements féminins. Dans chacun des endroits,
elle adopta un air un peu dédaigneux qui ne trompa pas le moins du monde les
vendeuses expérimentées qui y travaillaient. Son manteau bleu élimé disait
assez à qui elles avaient affaire.
Consciencieuses
malgré tout, elles lui montrèrent des robes à la mode en ce printemps 1956 en
prenant bien soin de lui dire les tailles disponibles.
- Bonyeu! finit
par s'exclamer Laurette, ils en
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